Richard Hiault, grand reporter aux Échos, cite le dossier de Politique étrangère n° 4/2012 sur le « Commerce international au XXIe siècle », dans son analyse des « Travers des accords commerciaux bilatéraux”. À lire ci-dessous.
Les travers des accords
commerciaux bilatéraux
S’ils ont le mérite de pallier les blocages du multilatéralisme, les accords bilatéraux engendrent aussi une multiplication des règles et des normes, qui risque d’entraver le commerce mondial.
Le monde commercial bouillonne de projets. Que ce soit de la part des pays industrialisés ou des pays émergents, les négociations bilatérales fleurissent. Elles ont pris le pas sur l’approche multilatérale de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), où les négociations patinent depuis plus de dix ans.
Cette tendance au bilatéralisme n’est pas nouvelle. Elle est apparue à partir des années 1990. Depuis, elle n’a fait que s’amplifier. Elle trouve son origine dans la lenteur des avancées pour libéraliser le commerce international au sein de l’OMC. Le « cycle de développement de Doha », lancé en 2001, est en état de quasi-mort clinique. Et ce depuis le mois de juin 2008, après une réunion à Genève. Dans la dernière revue de Politique étrangère de l’Ifri, Patrick Messerlin, professeur à Sciences Po Paris, évoque deux explications à cet échec. L’une internationale, l’autre interne. « La cause internationale est liée à la vision diamétralement opposée des Américains et des Chinois sur les disciplines de l’OMC. » La raison interne vient du fait que les États-Unis et l’Union européenne, leaders historiques de l’Organisation, font face tous les deux au même problème politique. « Depuis la fin des années 1980, les élections dans ces pays n’ont donné qu’une courte majorité (au mieux) au parti au pouvoir. Cette situation rend très difficile toute décision en matière de commerce international. » Et les puissants lobbys peuvent faire capoter les discussions. Ce dernier constat vaut d’ailleurs autant pour les négociations multilatérales que bilatérales.
Néanmoins, bon an mal an, les contacts régionaux et bilatéraux ont permis de faire émerger des zones de libre-échange. En Amérique du sud (Mercosur en 1991), en Amérique du Nord (Alena en 1994) et en Asie (Asean en 1992), sans oublier, évidemment, le marché unique européen. Parallèlement à ces intégrations régionales, des accords bilatéraux ont été aussi conclus. Tant et si bien qu’au 15 janvier dernier, l’OMC recensait pas moins de 414 accords commerciaux régionaux et bilatéraux, contre moins de 10 en 1990. Toutefois, seuls 235 sont entrés effectivement en vigueur.
Les accords sont multiformes : certains sont limités à la réduction des obstacles au commerce des marchandises, d’autres, plus nombreux, ont des portées plus vastes. Ils couvrent des dispositions relatives à l’ouverture des marchés des services, à l’investissement, à la politique de la concurrence, à la facilitation des échanges, aux marchés publics, à la propriété intellectuelle, au commerce électronique, aux marchés du travail…
Les zélateurs de ces accords restreints arguent du fait qu’ils pourraient constituer les bases de futures règles commerciales multilatérales. Ils permettent en outre d’ouvrir d’autres marchés et de pallier les blocages du multilatéralisme. Comme le souligne Patrick Messerlin, « la Corée du sud, en signant 12 accords commerciaux durant les années 2000, a ouvert plus de 60 % des marchés mondiaux à ses entreprises ». Dans les années 1990 et 2000, l’Union européenne a signé 32 accords qui n’ont ouvert aux entreprises européennes qu’à peine 17 % des marchés mondiaux. Un résultat qui explique sans doute pourquoi l’Union fait feu de tout bois aujourd’hui : elle a ouvert à la fin de l’année dernière des négociations pour un accord de libre-échange avec le Japon, s’apprête à conclure celles avec le Canada et se prépare à démarrer des discussions avec les Etats-Unis, sans oublier les pourparlers en cours avec le Mercosur. Face à l’activisme européen, les autres pays ne sont pas en reste.
Les États-Unis, eux, ont créé deux forums de négociations. Le premier vise à un accord commercial plurilatéral dans le seul domaine des services. Le second – le Trans Pacific Partnership (TPP) – est un accord couvrant tous les sujets (biens, services, propriété intellectuelle, investissement, entreprises publiques, politique de la concurrence) entre 10 pays riverains du pacifique. La Chine en est exclue pour l’instant. Le président américain, Barack Obama, avait annoncé la couleur en novembre 2009, indiquant que ce TPP devait refléter les « priorités et les valeurs américaines ». Face à cette offensive, Pékin ne reste pas les bras croisés. Un accord entre la Chine, le Japon et la Corée est évoqué. Un autre inclurait les pays de l’Asean.
Quels que soient les résultats futurs de ces différentes négociations commerciales, leurs détracteurs mettent en avant que de tels accords se chevauchent et rendent le commerce international plus complexe. Ils risquent d’affaiblir les principes mêmes de non-discrimination de l’Organisation mondiale du commerce. Pascal Lamy, le directeur général de l’OMC, avance que « si la multiplication des accords commerciaux bilatéraux aboutit à une multiplication des normes, des standards, cela fragmente les marchés et réduit le potentiel de croissance » mondial. « Si, à l’avenir, les obstacles non tarifaires augmentent, là, nous changeons de modèle. On ne protège plus le producteur mais le consommateur. Nous sommes dans le domaine de la gestion du risque, des « préférences collectives ». » Et, sur ce plan, l’OMC n’a pas pour vocation d’harmoniser les réglementations.
Pour l’heure, seulement 15 % du commerce international se fait selon des règles issues de ces accords bilatéraux. Un chiffre qui reste peu élevé. Mais le risque principal qui se profile, si la tendance se poursuit, est bien celui d’un cloisonnement des marchés, entravant d’autant les flux commerciaux et par là même la croissance mondiale.
Richard Hiault, grand reporter
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