Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (4/2012). Jérôme Marchand propose une analyse de l’ouvrage d’Andrew Phillips, War, Religion, and Empire: The Transformation of International Orders (Cambridge, MA, Cambridge University Press, 2011, 382 pages).
Cet ouvrage touffu est directement dérivé d’une thèse soutenue à l’université de Cornell par un jeune chercheur australien. Nourri d’un grand nombre de références savantes, il explore les dynamiques complexes présidant à la transformation et à la désagrégation des ordres internationaux, définis en introduction comme la « constellation de normes constitutionnelles et d’institutions fondamentales à travers laquelle des communautés politiques différentes les unes des autres cultivent leur coopération et contiennent leurs conflits”. War, Religion and Empire s’articule en trois parties. La première, d’essence théorique, insiste sur l’importance combinée des valeurs morales, des prestations instrumentales et des pratiques rituelles au moyen desquelles les entités hégémoniques justifient leur domination. Elle s’accompagne d’un bref travail de modélisation, qui associe l’effondrement des ordres internationaux au déclenchement de crises systémiques mêlant déliquescence institutionnelle prolongée, innovations militaires disruptives et affirmation d’imaginaires sociaux alternatifs, l’ensemble contribuant à corroder puis à dissoudre le consensus ambiant.
La deuxième partie décrit la décomposition progressive de deux ordres internationaux. Andrew Phillips évoque d’abord l’essor de la chrétienté latine puis son effondrement discontinu, précipité par la Réforme et la révolution dans les affaires militaires (poudre à canon et armées professionnelles). L’auteur applique ensuite sa grille de lecture à la sinosphère des années 1800- 1940, victime des rigidités dynastiques, des rébellions millénaristes et des empiétements prédateurs des États tiers. À noter qu’A. Phillips, dans son analyse, s’abstient de blâmer à outrance les interférences étrangères. L’effondrement d’un ordre international, à ses yeux, est d’abord à imputer aux carences des élites et des institutions qui le pilotent : corruption, fermeture sur soi, traitement inapproprié des doléances collectives, etc. Plus profondément, l’auteur met en cause la capacité à maintenir une représentation équilibrée, tenant compte des aspirations spirituelles et séculières des gouvernés et offrant un minimum de crédibilité apparente.
Enfin, la troisième partie, ancrée dans le présent, s’efforce de calibrer les menaces que posent la radicalisation de l’islam et l’affirmation du terrorisme transnational pour l’ordre étatique global, ainsi que pour la version de cet ordre défendue par les États-Unis et leurs alliés. Si l’on suit A. Phillips, la lutte opposant djihadistes et Occidentaux n’a pas – pour le moment – affaibli irrémédiablement le système de régulation en place depuis 1945. Mais ce dernier est en péril, du fait des contradictions entre ses idéaux fondateurs et ses pratiques opérationnelles et de son incapacité à juguler la diffusion endémique des instruments de violence armée et la constitution de plates-formes d’expression critique à diffusion élargie.
War, Religion and Empire se présente comme un ouvrage érudit, riche en conceptualisations abstraites. Les observations qui y figurent ne sont pas toujours d’une grande originalité. Mais les observateurs qui cherchent à approfondir la notion de soft power et à appréhender ses modulations contextuelles y trouveront une foule d’indications précieuses.
Jérôme Marchand
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