Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (4/2012). Isabelle Feuerstoss propose une analyse de l’ouvrage de Samar Yazbek, Feux croisés : journal de la révolution syrienne (Paris, Buchet/Chastel, 2012, 204 pages).
Ce Journal de la révolution syrienne est le témoignage personnel d’une femme écrivain alaouite réagissant devant les atrocités du régime syrien, même si elle redoute les pratiques à venir de ses successeurs. Elle raconte à sa façon, parfois naïve, parfois lucide, ce qu’elle a vécu ou entendu au cours des quatre premiers mois du soulèvement syrien. Certains commentaires paraissent désormais dépassés à la lumière de l’évolution dramatique de la situation sur le terrain.
À vrai dire, l’auteur semble découvrir la nature du régime syrien à mesure que les jours passent, avec leurs lots d’atrocités. Bien qu’elle prétende connaître beaucoup de « secrets horribles » sur le régime, s’être beaucoup documentée sur Internet [sic] et avoir joui d’une liberté de mouvement et d’action non négligeable pendant ces quatre mois[1] (elle a toutefois dû quitter son pays pour des raisons de sécurité), son récit n’apporte rien d’inédit sur les rouages de la révolution et de la répression du régime.
Certains témoignages retranscrits par Samar Yazbek sont instructifs, à l’instar de ceux d’un des membres fondateurs des comités de coordination locaux et d’un médecin de Deraa. De même, les descriptions de phénomènes qu’elle a personnellement observés (les manifestations volantes, la répression des forces armées, l’apparence physique des milices pro-régime, le quadrillage sécuritaire des rues de Damas le vendredi, le bouclage de quartiers périphériques) sont particulièrement fidèles aux réalités du terrain.
Si S. Yazbek accuse, à juste titre, le régime alaouite d’instrumentaliser le référent communautaire, certaines remarques récurrentes laissent néanmoins penser qu’elle partage les mêmes craintes concernant les minoritaires. Elle est particulièrement sensible aux signes ostentatoires propres au conservatisme religieux sunnite (voile, niqab, barbes) et aux propos machistes ou religieux des hommes à son égard (certains refusent de lui parler, un autre l’appelle Satan). Dès le mois de juin 2011, les discours radicaux de certains cheikhs sunnites et le spectre de la radicalisation des islamistes l’amènent à qualifier la situation de « guerre civile ». Pour autant, elle ne s’interroge ni sur l’avenir politique de la Syrie, ni sur celui du statut des femmes, certainement par peur de tomber dans le jeu du régime et d’être instrumentalisée.
En revanche, on ne peut que regretter sa vision manichéenne et son manque de distance vis-à-vis de certaines versions d’événements qu’elle présente comme des vérités, sans les interroger. La nature autoritaire et brutale du pouvoir justifie-t-elle à elle seule qu’on donne foi à tout récit émanant d’acteurs antirégime, sans vérifier, diversifier et croiser constamment les sources ? Certes, le régime alaouite détient le monopole de la violence mais on ne peut exclure des épisodes dont les responsabilités sont nettement moins évidentes, à l’instar de celui de Jisr al-Choughour à l’été 2011.
Cet ouvrage n’est certes pas une référence scientifique. Néanmoins, dans un contexte d’instrumentalisation des peurs identitaires par le régime et en dépit des menaces pesant sur sa personne, S. Yazbek a le mérite d’avoir pris clairement position en faveur des manifestants pacifistes et de refuser d’être instrumentalisée du simple fait de son appartenance confessionnelle.
Isabelle Feuerstoss
1. Une femme moins connue et non alaouite aurait été arrêtée ou tuée sur le champ.
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