Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (4/2012). Frédéric Charillon propose une analyse de l’ouvrage de Denis Bauchard, Le Nouveau Monde arabe : enjeux et instabilités (Bruxelles, André Versaille éditeur, 2012, 250 pages).

Un an et demi après le début des processus qui allaient aboutir aux turbulences que nous connaissons dans le monde arabe, Denis Bauchard nous offre une synthèse de grande actualité. En dix chapitres, l’ouvrage revient avec une grande clarté, une grande pédagogie (tableaux et graphiques à l’appui) sur la diversité des situations arabes et des « révolutions ». Il est sans nul doute à conseiller comme manuel d’introduction à la région, tant le propos est structuré et le tableau dressé utile et à jour.
En replaçant les soulèvements dans une évolution historique, l’auteur les démystifie. Sans tomber dans la facilité qui consisterait à prétendre a posteriori qu’ils étaient prévisibles, il revient avec justesse sur les nombreux signaux des frustrations à l’œuvre, des dysfonctionnements, des rancœurs, et donc des explosions potentielles. Il rappelle ainsi les rapports publiés dans les années 2000, depuis le fameux rapport du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) sur le développement humain dans le monde arabe jusqu’aux travaux de l’Economist Intelligence Unit. Le bilan souligne la carence des États arabes, mais aussi l’aveuglement de l’Occident, en particulier de l’administration néoconservatrice américaine. En revenant sur trois foyers de crise persistants – l’Irak, la question palestinienne, la situation libanaise (on aurait pu en ajouter d’autres) –, D. Bauchard nous rappelle à quel point l’embrasement peut encore s’accélérer.
La dernière partie de l’ouvrage est plus géopolitique, qui s’attache à l’interaction entre ce monde arabe et son environnement stratégique. On appréciera le chapitre consacré à la politique des États-Unis, qui montre une diplomatie cohérente et efficace pour ses intérêts propres de 1945 à 2000, avant qu’elle ne sombre dans l’aventurisme au lendemain du 11 septembre 2001. L’analyse n’est tendre ni pour l’administration Bush junior, au bilan jugé « calamiteux », ni pour l’administration Obama, aboutissant à une profonde déception et tout aussi alignée sur Israël que ses prédécesseurs. La politique française est aussi passée au crible, même si les épisodes tunisien et libyen sont rapidement traités. C’est bien à l’éclosion d’une nouvelle donne qu’on assiste : des relations interarabes difficiles car privées de leader naturel (sauf peut-être l’Arabie Saoudite, mais sans doute pas le Qatar, trop peu doté en ressources diplomatiques en dépit de son activisme) ; et autour, un État hébreu en cours de « bunkerisation » face aux nouvelles dynamiques, un Iran qui a su tirer partie des guerres américaines mais que la situation syrienne indispose, une Turquie qui a vu sa politique du « zéro problème » de voisinage pour le moins mise à mal. Au final, les bouleversements récents relativisent le rôle structurant des acteurs traditionnels – États-Unis et Union européenne (UE) –, pour amorcer une probable montée en puissance de la Chine et autres BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine).
Un point clair en langue française sur ces processus encore inachevés s’imposait. Cet ouvrage y contribue grandement.

Frédéric Charillon

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