Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère 1/2013. Jean-Baptiste Jeangène Vilmer propose une analyse du livre d’Océane Zubeldia, Histoire des drones (Paris, Perrin, 2012, 238 pages).
Adapté d’une thèse de doctorat, ce livre du capitaine Océane Zubeldia, désormais chercheur au Centre d’études stratégiques aérospatiales, est la première et la seule histoire des drones disponibles en français. Cela suffit à en faire un ouvrage intéressant, d’autant plus qu’il est bien documenté. L’auteur ne fait pas ici une histoire linéaire des drones – à laquelle seul le premier chapitre est consacré –, mais explique le fonctionnement de l’industrie qui les fabrique, le type d’opérations auxquelles ils servent, leurs développements régionaux respectifs en prenant les trois exemples de la France, des États-Unis et d’Israël, ainsi que leur dimension stratégique et un peu de prospective pour anticiper les enjeux futurs de la robotisation militaire. On y apprend beaucoup, y compris que la firme Radioplane, pour laquelle travaillait Marylin Monroe lorsqu’elle a été « découverte » en 1944, construisait des drones…
Le lecteur reste toutefois souvent sur sa faim, et pas seulement à cause d’un style scolaire. L’un des intérêts du livre est de consacrer un chapitre à la France, qu’on connaît beaucoup moins que les premiers exportateurs mondiaux, États-Unis et Israël. Mais quitte à élargir le cercle à d’autres États, on regrettera l’absence de l’Europe comme telle ou de la Chine dont la croissance dans ce domaine est spectaculaire (les Chinois possèdent déjà plus de 25 modèles de drones – dont leurs compagnies font la promotion, dans des vidéos animées, en les faisant tirer sur des porte-avions américains).
On relèvera quelques curiosités factuelles : l’auteur estime par exemple que Ben Laden a été « appréhendé », alors qu’il fait désormais peu de doute qu’il s’agissait d’un assassinat ciblé.
Mais les faits et chiffres sont en général très fiables. Le problème est qu’ils dominent l’ouvrage, très descriptif. L’auteur nous dit en détail quels drones ont été utilisés où et pourquoi, mais pas grand-chose sur les enjeux éthiques, politiques (sur le plan intérieur et extérieur) et juridiques que cet usage implique, et qui sont pourtant spectaculaires comme en témoigne l’ampleur du débat dans la presse américaine. Il y a par exemple très peu de lignes sur la politique d’assassinats ciblés, son efficacité (rendent-ils les États-Unis et Israël plus sûrs ?) sur laquelle existent quelques études intéressantes et ses conséquences globales sur les normes et la stabilité internationales.
Manque aussi une réflexion précise sur la notion d’autonomie. Les drones ont une certaine dose d’autonomie – pour leur navigation –, mais ils restent pilotés à distance, ils ne choisissent pas leur cible et ne tirent que sous commandement humain (Human-in-the-loop weapons). Les machines actuellement en développement choisissent leur cible et tirent automatiquement mais sous la supervision d’un humain (on the loop) ou n’impliquent même aucune intervention humaine (out the loop). Ces robots létaux autonomes sont trop rapidement évoqués à la fin du livre, alors qu’ils posent des questions redoutables, comme celle de la responsabilité – à qui incombe celle du tir ? – à laquelle il n’y a pas pour l’instant de réponse satisfaisante (pas le robot lui-même, donc le supérieur hiérarchique ? le programmeur ? le fabricant ?).
Quant à sa proposition de les encadrer juridiquement par un nouveau protocole additionnel aux Conventions de Genève, elle suscite également des interrogations (quel contenu ? quelles seraient ses chances d’être ratifié par les pays producteurs ?) qui ne sont même pas évoquées. Ces remarques n’ôtent rien à l’intérêt de l’ouvrage : elles expriment simplement le regret qu’il ne soit pas plus complet.
Jean-Baptiste Jeangène Vilmer
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