Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère 1/2013. Justine Guichard propose une analyse du livre de Victor Cha, The Impossible State: North Korea, Past and Future (New York, Ecco/Harper Collins, 2012, 544 pages).

couv-ChaImpossible, la situation nord-coréenne l’est à maints égards ; mais ni irrationnelle, ni inintelligible, comme s’attache à le démontrer cet ouvrage, qui tente de concilier deux approches du pays : les dynamiques de son fonctionnement interne et les enjeux stratégiques de sa politique étrangère. L’auteur établit ainsi une relation directe entre les incohérences qui condamnent le régime nord-coréen au plan interne et les ressources compensatoires dont il dispose dans l’arène internationale.
D’un point de vue interne, le dilemme de l’État nord-coréen tient à la nécessité de mettre en œuvre des réformes sans lesquelles sa pérennité à long terme est compromise, mais avec lesquelles le contrôle politique total exercé par le leadership dynastique devrait se relâcher.
Cette contradiction est d’après Victor Cha renforcée par le processus de dissociation amorcé entre la radicalisation idéologique du régime contre toute perspective de changement et la lente mais certaine transformation dans laquelle est engagée la société nord-coréenne. Ainsi, le gouvernement a beau être revenu sur les réformes économiques de 2002 consenties pour pallier l’effondrement du système de distribution publique des denrées alimentaires, il a échoué à en renverser complètement le cours, comme en témoigne la subsistance des marchés clandestins sur l’ensemble du territoire.
Condamnée à périr au vu de ses contradictions internes, la Corée du Nord est pourtant capable de survivre grâce à la force de dissuasion incarnée dans ses programmes balistique et nucléaire, auxquels elle n’a donc nullement l’intention de renoncer. Cette prémisse de la stratégie nord-coréenne exempte, selon V. Cha, 25 années de diplomatie américaine, de tous bords politiques, de la responsabilité de la crise sécuritaire dans la péninsule (l’auteur ne manque pas de célébrer au passage l’implication personnelle du président George W. Bush sur la question des Droits de l’homme en Corée du Nord).
Capable de survivre, le régime ne le sera pourtant pas indéfiniment. La tension à laquelle aboutit son analyse est résolue par V. Cha de manière plutôt optimiste, par la relativisation des facteurs généralement liés à la permanence du statu quo dans la péninsule. Renversant la logique du coût de la réunification pour le Sud, il montre combien elle n’est pas incompatible avec les intérêts des autres acteurs en présence, notamment ceux de la Chine, puisque des mécanismes contre la déstabilisation associée à l’afflux de réfugiés nord-coréens ou la présence militaire des États-Unis à sa frontière pourraient être créés. Or le scénario de la réunification semble très loin d’être privilégié par Pékin, dont une partie des élites avait pu être tentée par un changement de politique à l’égard de la Corée du Nord à la suite de l’essai nucléaire de 2009, mais qui a prouvé depuis toute la fermeté de son ancrage du côté de la stabilité en accompagnant la dernière transition du pouvoir au sein de la famille Kim. Les forces en faveur d’un changement de paradigme que V. Cha décèle notamment en Corée du Sud paraissent donc bien minces au regard de la détermination chinoise, qui porte le régime nord-coréen et n’offre aucun signe de fléchissement.

Justine Guichard

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