Cette recension est issue de Politique étrangère 2/2013. Dominique David propose une analyse de l’ouvrage de Clément Therme, Les Relations entre Téhéran et Moscou depuis 1979 (Paris, PUF, 2012, 300 pages).
Les relations entre Téhéran et Moscou sont un objet historique fort ancien – Russie et Perse s’opposent depuis longtemps, et en particulier depuis le XIXe siècle – et on ne peut plus contemporain : rôle de Moscou dans la crise nucléaire iranienne, désir de la Russie de revenir dans la région moyen-orientale, recherche d’un désenclavement international pour Téhéran, lequel pourrait passer par Moscou…
Clément Therme nous donne ici une analyse complète, appuyée sur l’histoire, la théorie et une analyse fine des institutions, manœuvres, logiques et réflexes locaux et régionaux. Les rapports entre les deux pays sont d’abord déterminés par l’héritage historique et son écho psychologique. Cet héritage, mêlé aux intérêts du présent, rend compte des allers et retours relationnels : rapprochements et éloignements se succèdent comme si on se méfiait assez de l’autre pour ne jamais laisser trop se dégrader les choses. Du « grand jeu » du XIXe à la chute du shah, les périodes alternent déjà – tentatives de contrôle de Moscou, traité d’amitié, rapprochement avec le régime du shah, etc. ; les changements entre « bons » et « mauvais » temps se faisant plus rapides après la révolution iranienne de 1979 (refroidissement immédiat, puis réchauffement, puis prise de distance des deux côtés, etc.).
L’ouvrage de C. Therme ne fait pas seulement le point sur l’évolution chronologique complexe de ces rapports ; il s’interroge sur les facteurs de production de la politique étrangère iranienne, dans le cadre un régime dont nous peinons à comprendre les logiques et les modes de fonctionnement. L’auteur convainc quand il renvoie à deux déterminants majeurs : le facteur idéologique et le facteur national. Par facteur idéologique, on entend la conception géopolitique émergée de la révolution khomeiniste : une contestation de la puissance (qui éloigne de l’URSS, puissance régionale et globale) et une contestation de l’ordre de la puissance (qui rapproche de Moscou au nom de la multipolarité). Le facteur proprement religieux ne s’avère que secondaire dans la structuration de la politique étrangère iranienne, même si Téhéran ne néglige pas les réseaux chiites pour diffuser son influence régionale.
De fort intéressants développements tentent de cerner les dynamiques politiques internes et institutionnelles influant sur la formation de la politique étrangère iranienne : luttes de factions, de niveaux de pouvoir (voir le rôle personnel de Mahmoud Ahmadinejad au service du rapprochement avec Moscou), poids même d’une opinion publique largement opposée à une politique prorusse, tendance reprise globalement par l’opposition politique. Ces développements informés et riches laissent sur une triple impression. Tout d’abord, les rapports bilatéraux ont certes leur dynamique, mais ils s’inscrivent toujours dans une « triangulation » : avec Londres avant-hier, avec Washington aujourd’hui. Deuxièmement, les relations Moscou/Téhéran sont avant tout marquées par la méfiance et par une extrême prudence de part et d’autre, ce qui semble exclure les mouvements brusques, les révisions déchirantes. Enfin, note l’auteur, elles constituent un assez bon exemple du talent pour l’isolement des autorités de la République islamique : la crise nucléaire semble montrer comment ils peuvent mal jouer le rapport avec Moscou, qui constituait peut-être une de leurs meilleures cartes.
Dominique David
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