Cette recension est issue de Politique étrangère 2/2013. Marc Hecker propose une analyse de l’ouvrage de Manuel Castells, Networks of Outrage and Hope: Social Movements in the Internet Age (Cambridge, Polity Books, 2012, 200 pages).

00-Castells-0745662854Manuel Castells est un spécialiste mondialement connu de la sociologie des réseaux. Sa trilogie sur L’Ère de l’information a été traduite dans une vingtaine de langues. Ce nouveau livre explore les mouvements sociaux qui ont émergé, de manière plus ou moins explosive, en différents endroits de la planète au cours de l’année 2011. Il a été rédigé à chaud, entre décembre 2011 et avril 2012. M. Castells ne cache pas sa sympathie pour ces mouvements, qui lui rappellent l’ambiance révolutionnaire qui régnait à Paris en mai 1968. Il réussit toutefois à produire une analyse distanciée, revenant avec force détails sur différents soulèvements ayant provoqué des secousses plus ou moins fortes dans les pays occidentaux (Islande, Espagne, États-Unis) et un véritable séisme dans le monde arabe (Tunisie, Égypte). Quels points communs y a-t-il entre les « indignés » de la Puerta del Sol, les « occupants » de Wall Street et les révolutionnaires arabes ? Un sentiment partagé de dégoût des injustices, combiné à l’espoir d’un changement vers plus de démocratie. Bien sûr, « indignés » et « occupants » sont conscients des différences qui existent entre les régimes espagnol et américain d’un côté, tunisien et égyptien de l’autre. Toutefois, ils estiment que les dirigeants des pays occidentaux ont dévoyé la démocratie et demandent plus d’égalité et de justice sociale. S’ils portent en eux l’espoir d’un monde meilleur, ils ne formulent pas de demandes précises, contrairement aux révolutionnaires arabes qui avaient une revendication claire : la fin de la dictature.
Un point commun essentiel à tous ces mouvements réside dans le rôle joué par Internet. En Tunisie et en Égypte, c’est sur le Web – en particulier sur des blogs et sur Facebook – que le mur de la peur est tombé. À partir du moment où les citoyens de ces deux pays ont affirmé leurs convictions sur la Toile, ils ont franchi le Rubicon et n’ont plus pu revenir en arrière. En Espagne et aux États-Unis, le Web social a permis aux militants de s’organiser de manière horizontale, sans qu’émergent de véritables leaders. Il est en outre apparu comme un puissant outil de storytelling, qui a notamment permis d’attirer l’attention des journalistes. Ezra Klein du Washington Post raconte par exemple qu’il a pris conscience de la nécessité de couvrir Occupy Wall Street en découvrant la page We are the 99 % sur Tumblr.
M. Castells ne surestime pas, toutefois, le rôle du Web : c’est bien par l’occupation de l’espace public que le mouvement social prend véritablement forme. Et pour occuper, en masse, des avenues et des places, les cyberactivists doivent s’appuyer sur des réseaux déjà constitués, comme les clubs de supporters de football ou les fidèles de certaines mosquées lors du soulèvement égyptien. Cette hybridation entre cyberespace et espace urbain est qualifiée par le sociologue de « troisième espace » ou « espace de l’autonomie ».
Une des caractéristiques essentielles du Web étant de transcender les frontières, il favorise la diffusion internationale des mouvements de révolte. On l’a vu, bien sûr, dans le monde arabe, mais même au-delà. Ce n’est pas un hasard si les « indignés » espagnols et les « occupants » de Wall Street ont rebaptisé certains des lieux investis d’un nom désormais bien connu : place Tahrir.

Marc Hecker

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