Cette recension est issue de Politique étrangère 2/2013. Yves Gounin propose une analyse de l’ouvrage de Marcel Lemonde, Un juge face aux Khmers rouges (avec la collaboration de Jean Reynaud, Paris, Seuil, janvier 2013, 250 pages).
Au terme d’un accord signé en 2003 entre le Cambodge et l’ONU, les « chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens » (CETC) ont été chargées de juger les « plus hauts dirigeants khmers rouges » et les « principaux responsables des crimes » commis entre 1975 et 1979. Un magistrat français livre le témoignage des quatre ans qu’il a passés à Phnom Penh et fait le constat désabusé de leur échec prévisible. La tâche est immense. Les événements sont vieux de plus de 30 ans. Les coupables sont vieillissants. Les témoins ont souvent perdu le souvenir précis des faits et renâclent à parler de peur des représailles. Le régime de Hun Sen se montre très réticent à organiser ce procès.
Pour relever ce défi, les CETC présentent bien des handicaps. Il ne s’agit pas d’un tribunal international, mais d’un tribunal internationalisé, composé de juges internationaux et d’une majorité de juges cambodgiens. Il est installé à Phnom Penh sur les lieux mêmes des crimes dont il juge les auteurs, tel S-21, lycée de la ville converti en centre de détention et de torture dont le directeur, Douch, sera le premier accusé. Il applique une procédure pénale cambodgienne héritée du système inquisitoire français, alors que la plupart des juges internationaux et des avocats sont familiers de la procédure accusatoire anglo-saxonne. Il donne aux victimes la possibilité de se constituer partie civile, dans l’objectif, louable, de les associer au procès, mais avec le risque d’engorger la procédure. Enfin, à la différence des autres tribunaux internationaux dotés d’un budget confortable, il est financé par des contributions volontaires des États membres de l’ONU et fonctionne sous la menace permanente de restrictions budgétaires.
Dans ces conditions, la tâche de Marcel Lemonde ne fut jamais aisée. Il en témoigne avec une belle lucidité, sans sombrer dans le double écueil de l’amertume cynique ou de l’idéalisme naïf. Flanqué d’un co-juge d’instruction cambodgien avec lequel les relations furent complexes, il a instruit deux dossiers. Le premier est celui du gardien de S-21. Déjà présent dans Le Portail de François Bizot (Paris, La Table ronde, 2000), Douch a atteint une certaine notoriété en devenant le personnage principal du film de Rithy Panh Le Maître des forges de l’enfer (2011). Il a accepté de reconnaître ses crimes et de collaborer avec le tribunal, livrant un témoignage où la précision maniaque le dispute à l’inquiétante inhumanité. Rien de tel chez les quatre autres accusés faisant l’objet de l’instruction n° 002 : Nuon Chea, l’idéologue du régime, Ieng Sary, le ministre des Affaires étrangères, son épouse Khieu Thirith, ministre des Affaires sociales, et Khieu Samphan, le chef de l’État, se sont murés dans un silence hostile sur les conseils de leurs avocats, parmi lesquels Jacques Vergès.
Marcel Lemonde a quitté Phnom Penh fin 2010. Bien mal récompensé de sa collaboration, Douch a été condamné en appel à la prison à vie. Ieng Sary est mort en mars 2013. Atteinte de la maladie d’Alzheimer, Khieu Thirith a été libérée en septembre 2012. Nuon Chea et Khieu Samphan attendent encore d’être jugés. Aucune mesure d’instruction n’a été ouverte contre les autres responsables du génocide.
Yves Gounin
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