Cette recension est issue de Politique étrangère 2/2013. Vincent Bignon propose une analyse de l’ouvrage de Gary B. Gorton, Misunderstanding Financial Crises. Why We Don’t See Them Coming (New York, Oxford University Press, 2012, 240 pages).

00-Gorton-9780199922901Misunderstanding Financial Crises est un livre important pour comprendre les crises financières et bancaires. Son auteur, professeur d’économie à l’université de Yale, utilise sa connaissance des multiples épisodes et soubresauts des deux derniers siècles d’histoire bancaire américaine pour analyser en profondeur la mécanique des crises. D’une part, Gary B. Gorton sépare les périodes de crises des « périodes normales ». D’autre part, il défend l’idée qu’en période de crise, les autorités doivent avant tout éviter de propager la panique parmi les déposants, laissant de côté la question lancinante de l’aléa moral.
G.B. Gorton part d’un concept clé de la théorie bancaire : une banque produit de l’information sur les emprunteurs potentiels, choisit les meilleurs et finance les prêts en attirant des dépôts. Les dépôts existent parce que leurs détenteurs n’ont pas de doute sur la qualité des institutions bancaires. Mais cette confiance peut être remise en cause dès que le public apprend certains errements. C’est ce qui est arrivé en 2007, quand la panique sur le marché interbancaire s’est propagée après qu’on eut découvert que de nombreux prêts immobiliers étaient douteux.
G.B. Gorton soutient que, dans les moments de crise, les mesures en faveur de la transparence aggravent la panique. Parce que la révélation de choix plus hasardeux que prévu crée un besoin de protection chez les déposants non assurés, aboutissant à un retrait massif de dépôts. Ce rappel de mécanique bancaire est intéressant dans le contexte américain de contestation des actions énergiques prises en 2007 et 2008 par la Banque centrale pour garantir les dépôts. De ce côté de l’Atlantique, et en temps de crise européenne – qui n’est pas abordée dans le livre –, ce raisonnement est particulièrement judicieux pour comprendre pourquoi certaines périodes créent plus de crises que d’autres. G.B. Gorton nous rappelle que la crise vient toujours de mauvaises pratiques bancaires et de politiques économiques et financières incapables de rassurer les déposants.
Un autre intérêt du livre tient au fait qu’il embrasse une grande variété de sujets. Il interroge la pratique des économistes, leur méconnaissance de l’Histoire, leur affection particulière pour les approches mathématisées. Sans accuser l’une ou l’autre d’être la cause des mauvaises prévisions, G.B. Gorton suggère que la spécialisation n’est d’aucun secours en temps troublé si l’on n’a pas de curiosité ni d’ouverture aux autres approches. Il argumente que seule l’approche historique permet d’éviter de se sentir étranger aux crises. L’auteur recommande de se nourrir des expériences de terrain pour enrichir les cadres d’interprétation analytique. Dans la recherche comme dans la prise de décision, les uns ne doivent pas aller sans les autres. Ici, pas de vœux pieux mais des actes, et le lecteur le vérifie à chaque page. Quand on sait à quel point G.B. Gorton maîtrise les mathématiques, comme le prouvent ses précédents travaux, on est soulagé : la figure de l’intellectuel n’a pas disparu.

Vincent Bignon

S’abonner à Politique étrangère.

Acheter le numéro 2/2013 de Politique étrangère.