Cette recension est issue de Politique étrangère 2/2013. Thomas Gomart propose une analyse de l’ouvrage de Thomas Medvetz, Think Tanks in America (Chicago, IL, University of Chicago Press, 2012, 344 pages).

00-Medvetz-9780226517292La littérature académique sur les think tanks est florissante, souvent un peu ennuyeuse. Beaucoup d’ouvrages cherchent à répondre à la question – qu’est-ce qu’un think tank ? – à l’aide de typologies. En cherchant à définir la notion, ils peinent à saisir la nature du métier. Thomas Medvetz parvient à franchir un seuil conceptuel dans cet ouvrage : son mérite est de dépasser la question de la définition pour délimiter un champ propre aux think tanks. Son analyse commence par constater leur rôle croissant aux États-Unis depuis 40 ans et leur capacité à relier la production intellectuelle à l’activité politique. On soulignera que son analyse s’inscrit dans le contexte de la culture politique américaine, ce qui invite à remettre en perspective certaines conclusions, sans doute inadaptées au contexte européen.
La notion de champ (space of think tanks) est inspirée par les travaux de Pierre Bourdieu auquel l’auteur se réfère directement. Ce champ s’apparente à une zone tampon au croisement des sphères académique, politique, économique et médiatique. En créant des modalités d’interaction spécifique avec chacune de ces sphères, les think tanks sont parvenus à élaborer leurs propres systèmes de régulation et de règles sociales. Pour T. Medvetz, cette structuration s’est faite au détriment de la production académique traditionnelle, élaborée et diffusée en vase clos. Ce rapport recherché par les think tanks avec les décideurs, ainsi que leur ambition de produire un savoir utile, conduit inévitablement à la question de l’indépendance. Sur cette question cruciale, T. Medvetz constate que tous les think tanks se prétendent indépendants, alors même que l’enjeu consiste, selon lui, à comprendre les différentes modalités de construction des formes de dépendance sans lesquelles l’activité de think tank n’aurait tout simplement pas de sens.
L’ouvrage est structuré en six chapitres. Le premier délimite l’espace des think tanks en établissant un parallèle entre le parcours de quatre personnalités (Alice Rivlin, Gregg Easterbrook, Douglas Elliott et Stephen Hess) en relation avec quatre think tanks : Brookings Institution, Heritage Foundation, Cato Institute et New America Foundation. Le deuxième chapitre revient sur le rôle décisif des proto-think tanks, au premier rang desquels figurent le Council on Foreign Relations et la RAND Corporation, qui ont su créer une nouvelle forme d’expertise. Le troisième analyse les conditions de structuration de l’espace, intimement liées à la vie politique de Washington. Le quatrième chapitre s’attache à analyser les règles de production de la policy research, qui implique de réunir un ensemble de qualités : pertinence intellectuelle, sens politique, capacité de communication, le tout avec un état d’esprit entrepreneur. Non sans humour, T. Medvetz compare l’activité des think tanks au vaudeville, puisqu’il s’agit selon lui de sans cesse se rapprocher ou s’éloigner des parties prenantes, présentes dans le champ. Il importe pour eux de veiller à toujours bien se différencier des universités, des lobbies et des clubs politiques.
Le cinquième chapitre propose une étude de cas à travers le rôle joué par les think tanks dans le débat sur la santé publique aux États-Unis. Le dernier chapitre s’intéresse aux conséquences de cette montée en puissance des think tanks sur la figure de l’intellectuel intervenant dans les affaires publiques. Celle-ci lui semble aujourd’hui minée par le savoir et surtout le savoir-faire des think-tankers. Reste à voir, sur ce plan comme sur d’autres, dans quelle mesure l’analyse de T. Medvetz aidera à anticiper l’évolution des think tanks en Europe.

Thomas Gomart

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