Cette recension est issue de Politique étrangère 2/2013. Stéphane Taillat propose une analyse de l’ouvrage de Frank Ledwidge, Losing Small Wars. British Military Failures in Iraq and Afghanistan (Londres, Yale University Press, 2012, 304 pages).

00-Ledwidge-9780300182743Les guerres menées par les armées occidentales en Irak et en Afghanistan donnent naissance à une littérature de plus en plus prolixe tentant d’expliquer leurs difficultés en stabilisation. Le livre de Frank Ledwige s’intéresse au cas de la British Army à Bassorah (2003-2007) et dans le Helmand (2006-2010). Il ne s’agit pas d’un ouvrage historique mais d’une analyse des causes de l’échec britannique sur ces deux théâtres. Dans la lignée de l’ouvrage de John Nagl comparant la Malaisie et le Vietnam [1], F. Ledwidge s’intéresse aux capacités d’adaptation et, au-delà, d’apprentissage des forces armées britanniques. Selon lui, une culture militaire insistant sur le volontarisme, une institution sclérosée par le conformisme de ses officiers généraux et une organisation incapable de conseiller le pouvoir politique sont autant d’éléments expliquant une stratégie bâclée, des ajustements tactiques incohérents et une incapacité à tirer les bonnes leçons du contexte opérationnel. À ce titre, l’auteur pose des constats dérangeants concernant l’utilisation indiscriminée de la force, la tendance à l’autosatisfaction des officiers britanniques, la déconnexion entre la réalité du terrain et la rhétorique stratégique. Illustré par de nombreuses anecdotes, des entretiens fouillés et une lecture des spécialistes anglo-saxons en stratégie, sociologie militaire et relations internationales, l’ouvrage énonce toute une série de propositions qui forment des sous-hypothèses intéressantes.
L’aspect véritablement novateur de ce tableau à charge concerne la préconisation d’ouvrir la British Army sur la société civile. F. Ledwidge y voit en effet deux bénéfices. Le premier est lié au renseignement : les civils ou réservistes déployés sur les théâtres d’opérations parviennent mieux à saisir les éléments structurants du contexte opérationnel. Le second concerne la gestion des relations interculturelles : l’auteur note justement que ces opérations interviennent au sein d’une société qui est civile avant d’être « orientale ». Du fait de la professionnalisation et d’une tendance au repli identitaire, l’armée britannique serait de plus en plus isolée, ce qui conduirait à ne pas comprendre les motivations et les logiques civiles. L’auteur plaide donc pour sortir les officiers de leur confort intellectuel et professionnel pour qu’ils soient plus sensibles au contexte et donc plus efficaces, notamment en ce qui concerne les opérations d’influence.
L’ouvrage pèche pourtant par deux aspects. Mis à part les premiers chapitres narrant les campagnes à Bassorah et dans le Helmand, il n’est fait nulle mention des stratégies et logiques des adversaires des Britanniques. Autrement dit, l’analyse est trop centrée sur ces derniers et oublie que toute guerre est dialectique. À ce titre, l’échec des Britanniques doit aussi être imputé à ses adversaires. En second lieu, on ne peut rejoindre l’auteur lorsque, posant la question de la pertinence des forces armées en opérations de stabilisation (qu’il conçoit toutes dans un contexte de guerre civile), il conclut qu’il faut éviter à l’avenir ce type d’interventions. Ce vœu pieux néglige le fait que la guerre est un choix dépendant de multiples variables qui ne sont pas toutes maîtrisables par le pouvoir politique.

Stéphane Taillat

[1] J.N. Nagl, Learning to Eat Soup. Counterinsurgency Lessons from Malaya and Vietnam, New York, Praeger, 2002.

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