Cette recension est issue de Politique étrangère 2/2013. Guilhem Penent propose une analyse de l’ouvrage de Bård Wormdal, The Satellite War (Ebook, Amazon, 2012).

00-WormdalFruit d’un travail entamé en 1998, The Satellite War témoigne de l’érosion, depuis la fin de la guerre froide, de la spécificité des programmes spatiaux militaires en faveur d’une architecture transversale ou duale. Cette enquête, récemment traduite en anglais après une première publication en Norvège, est ainsi caractéristique d’un malaise persistant face au flou fonctionnel incarné par les systèmes spatiaux aujourd’hui. L’élargissement de la mission – de la défense à la sécurité –, de même que la multiplication des applications et l’intégration de plus en plus poussée de l’outil spatial dans la conduite de la guerre, rendent en effet la lecture des politiques spatiales aujourd’hui d’autant plus difficile que le spatial ne se limite pas simplement aux satellites. Le mérite de The Satellite War est ainsi de rappeler combien les stations terriennes et autres bases radars, la « composante au sol » à l’interface entre le cosmos et la Terre, sont cruciales pour le recueil et la transmission des données nécessaires au bon déroulement des opérations militaires et de sécurité. Pour cette raison, leur localisation est éminemment stratégique. Le cas, ici longuement décrit, des stations de Svalbard et de Trollsat est révélateur. Leurs situations géographiques privilégiées – proches du pôle Nord et du pôle Sud – assurent en effet, combinées, un accès continu quasi instantané aux satellites d’observation placés en orbite polaire, accordant ce faisant un avantage comparatif à la Norvège et à ses nombreux clients gouvernementaux et privés. Pour l’auteur, néanmoins, l’utilisation de ces installations ne va pas sans « contorsions juridiques » : elles font toutes deux l’objet de contraintes particulières, la première au titre du traité de Svalbard qui proscrit toute activité « dans un but de guerre », la seconde au titre du traité de l’Antarctique qui n’autorise que les « seules activités pacifiques ». Ce sont pourtant près d’une centaine de satellites employés à des fins aussi bien civiles que militaires et de sécurité qui les utilisent toutes deux, avec le soutien actif et intéressé des États-Unis et d’autres nations et entités, y compris l’Union européenne (UE).
« Militarisée » ou en voie d’« arsenalisation », la réalité de l’espace militaire est à l’image du dieu Protée : insaisissable. Or, The Satellite War a beau n’être pas sans défauts propres au genre journalistique, il parvient à fixer une image concrète de ce qu’est la guerre spatiale au XXIe siècle, en mettant le doigt sur ces ambiguïtés qui d’ordinaire polluent notre compréhension du sujet et qui, en dépit ou peut-être à cause de nos efforts, rendent floue notre perception. Bien qu’écrit d’abord pour le public norvégien pour provoquer un débat national, l’ouvrage ne révèle pas seulement la diplomatie spatiale méconnue mais active de la Norvège. À partir d’une géopolitique très instructive des stations-relais, il dessine un portrait éclairant de la conduite de la guerre au confluent de l’âge spatial et de l’âge de l’information, loin des clichés sur la future « guerre des étoiles ».

Guilhem Penent

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