Cette recension est issue de Politique étrangère 3/2013. Vivien Pertusot propose une analyse de l’ouvrage de David Engels, Le déclin. La crise de l’Union européenne et la chute de la République romaine – analogies historiques (Paris, éditions du Toucan, 2013, 384 pages).
Le sujet de l’ouvrage semble stimulant : comparer la crise identitaire de l’Union européenne (UE), qui serait pour l’auteur la source de ses problèmes politiques et économiques, avec la chute de la République romaine au Ier siècle avant J.-C. Les analogies sont à double tranchant : elles peuvent être poussives ou nourrir des débats utiles, comme cela fut le cas du Rise and Fall of the Great Powers de Paul Kennedy. Le Déclin aurait pu suivre cette destinée, mais David Engels n’arrive pas à tenir son pari. L’auteur considère qu’il ne faut pas se fourvoyer dans une sémantique relativiste : l’Union est en déclin. Ce parti pris est délibérément pessimiste. Il estime aussi qu’une des racines de la crise identitaire de l’UE est sa volonté de promouvoir des valeurs universelles, qui dilueraient la formation d’une identité marquée.
Pour nourrir son propos, il use d’une série d’indicateurs tirés d’un sondage de l’Eurobaromètre sur les valeurs importantes pour les Européens. On y retrouve : la paix, la démocratie, la solidarité, l’égalité, la religion, l’épanouissement personnel, etc. À chacune il consacre un chapitre comparant la situation de l’UE et celle de la République romaine.
Certains points sont en effet pertinents, mais plus comme constats que comme preuves de la crise identitaire ou des critiques. Ainsi constate-t-il par exemple que le déclin de la religion, notamment chrétienne, autant dans sa pratique que dans sa place dans la société, ne lui permet plus de jouer le rôle de ciment qu’elle avait traditionnellement dans d’autres sociétés.
Mais c’est sans compter les nombreuses déficiences de l’analyse. Tout d’abord, il est contestable de comparer des statistiques et des textes, ce que l’auteur fait souvent entre les données d’Eurostat et des Eurobaromètres et les textes d’époque de la République romaine. Quand il s’appuie sur des exemples plus précis, il tombe dans un écueil évident : il fait une généralisation européenne d’un phénomène qu’il relate comme existant en France ou en Allemagne. Mais l’UE est une collection de 28 États membres ! Écrire que les Français font état d’un sentiment d’insécurité fort est peut-être vrai, mais cela l’est-il pour les Finlandais, les Slovaques ou les Portugais ? Ensuite, l’auteur ne peut cacher sa connaissance moins fine de l’UE que de la République romaine. Son analyse est souvent superficielle : ce qui ressort notamment des parties liées à la crise économique et aux réflexions sur la politique étrangère. Enfin, ses analogies apparaissent parfois poussives : les analyses qu’il tire des statistiques ou des exemples cités laissent parfois dubitatif.
Le post-scriptum permet de mieux comprendre l’angle général choisi par l’auteur. La grille de lecture que D. Engels adopte est traditionnelle. Dans cette dernière partie, il ébauche des solutions : on doit fonder une identité sur des valeurs, telles que la religion (pas nécessairement au sens clérical du terme), la famille, une forme d’autorité forte, etc. Bref, notre société actuelle souffre d’un individualisme qui vient étioler la construction d’une identité collective – le seul remède qui permettrait de redresser l’Union. À force de mettre des œillères pour justifier son analogie, l’auteur se livre à une analyse historique « toutes choses égales par ailleurs »… C’est oublier que l’identité, l’individu et la société sont des phénomènes évolutifs.
Vivien Pertusot
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