Cette recension est issue de Politique étrangère 3/2013. Yves Gounin propose une analyse de l’ouvrage de Heriberto Araujo et Juan Pablo Cardenal, Le siècle de la Chine (Paris, Flammarion, 2013, 380 pages).
Journalistes espagnols basés en Chine, Heriberto Araujo et Juan Pablo Cardenal ont publié fin 2011 La silenciosa conquesta china, titre espagnol plus parlant que la plate traduction française. Le sous-titre anglais est plus parlant encore : The Pioneers, Traders, Fixers and Workers Who Are Remaking the World in Beijing’s Image. Car l’enquête des deux journalistes s’intéresse moins au siècle à venir qu’à ces Chinois éparpillés aux quatre coins de la planète qui sont en train d’en façonner l’image. Pendant deux ans, ils ont sillonné 25 pays, réalisant plus de 500 interviews, de la Sibérie au Pérou, du Turkménistan à l’Angola. Ils dressent un tableau effrayant d’une « conquête silencieuse » qui nourrit d’autant plus fantasmes et craintes qu’elle se fait sans publicité. Les deux journalistes n’ont cessé de se heurter à l’hostilité d’interlocuteurs qui, en Chine comme à l’étranger, leur ont fermé leurs portes.
En s’ouvrant au monde, la Chine ne s’occidentalise pas. Au contraire, soutiennent les auteurs, c’est le monde qui se sinise, les Chinois exportant leurs (mauvaises) pratiques dans le reste de la planète. Les terribles conditions de travail qui prévalent en Chine sont imposées aux recrutés locaux et conduisent parfois à leur révolte, comme dans les mines de cuivre de Zambie en 2008. Le mépris affiché pour la protection de l’environnement favorise le pillage des ressources naturelles. Les investisseurs chinois ne s’embarrassent pas d’éthique et nourrissent une corruption déjà omniprésente en Angola ou en République démocratique du Congo. Ils travaillent main dans la main avec des régimes parias (Soudan, Iran, Birmanie…), leur offrant sinon une légitimité, du moins des débouchés commerciaux qui privent de toute efficacité les embargos décrétés par la communauté internationale.
Cette attitude s’explique, à défaut de se justifier. Loin du discours officiel vantant les mérites d’une coopération « gagnant-gagnant », la Chine poursuit dans le monde en développement des objectifs qui n’ont rien d’altruiste. Elle y cherche les ressources naturelles dont elle manque (énergie, bois, terres, eau…) et un débouché pour sa main-d’œuvre excédentaire sans se soucier des effets sur les populations locales et leur environnement. Peu lui chaut le profit qu’en tirent ses partenaires en développement. Comme les puissances coloniales de jadis, elle ne cherche pas à encourager la création de valeur ajoutée sur place : le pétrole et le bois africain sont exportés bruts vers la Chine. Les grands projets d’infrastructure qu’elle réalise (routes, stades…) sont construits par une main-d’œuvre chinoise, sans effet sur l’emploi local. Les produits qu’elle exporte à bas coût élargissent certes l’offre aux consommateurs, mais constituent une redoutable concurrence pour la production locale.
Cette enquête a le mérite de décrire ces pratiques sans verser dans le procès à charge. Elle présente une lacune : elle ne s’attarde guère sur les ressorts de cette « conquête silencieuse », se bornant à indiquer que les banques de développement chinoises, adossées à la puissance publique, profitent de l’immense épargne domestique pour proposer des emprunts avantageux. Les deux journalistes auraient pu profiter de leur séjour en Chine pour enquêter à Pékin dans les cercles du pouvoir : existe-t-il une politique consciente d’expansion mondiale ? quels en sont les idéologues ? quels en sont les relais ? Faute de cette dimension, leur enquête se borne, au risque parfois de la répétition, à présenter les manifestations d’un phénomène dont les motivations profondes restent inconnues.
Yves Gounin
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