Cette recension est issue de Politique étrangère 3/2013. Julie Gommes propose une analyse de l’ouvrage d’Alfred de Montesquiou, Oumma. Un grand reporter au Moyen-Orient (Paris, Seuil, 2013, 432 pages).
Grand reporter pour Associated Press, le journaliste Alfred de Montesquiou égrène ses souvenirs en suivant le chemin d’Ibn Battuta, explorateur et voyageur musulman marocain, qui a lui aussi traversé la zone MENA au XIVe siècle. Le journaliste revient d’abord sur le terme « Oumma », issu de « Oum » la mère. Cette « mère patrie » qui va au-delà des frontières d’un seul pays, et rassemble des personnes partageant la même langue, la même religion, la même culture, et un sentiment de solidarité que l’on retrouve parfois dans l’expression « frères arabes ».
Toutefois, la situation sur le terrain peut être bien différente, que l’on se trouve d’un côté ou de l’autre d’une frontière, que l’on appartienne à une tribu, une ethnie ou un groupe comme au Darfour où au Tchad, où A. de Montesquiou pointe les problèmes tribaux liés à la géographie, aux ethnies et principalement à la couleur de peau.
Les tensions entre voisins peuvent être légion. Dans le partage de multiples rencontres – un dignitaire marocain, Kadhafi en pleine méditation qui ne lui dira que trois mots, un jeune algérien débrouillard, une vieille mère de famille qui a vécu plusieurs guerres au Liban, un jeune photographe français décédé depuis, un vieux cheikh dont la famille a été décimée –, c’est la vie quotidienne des populations de l’ensemble de la zone que le journaliste tente de nous faire découvrir, avec le travail des journalistes sur ce terrain, parfois difficile à appréhender.
Et les combats. La guérilla urbaine et les tirs de roquettes en Libye, l’organisation dans le chaos en temps d’insurrection, la montée en puissance, en Égypte, d’une pensée révolutionnaire, les manifestations qui se succèdent, l’arrivée de Facebook et son influence sur la jeunesse cairote, le rôle joué par Internet dans les révolutions, la bureaucratie soudanaise, les passages de frontières aléatoires, une opération de déminage dans le sud du Liban… A. de Montesquiou compile ses sujets de reportages du début des années 2000 à nos jours.
Enfin, si l’histoire a quelque tendance à oublier les femmes, ce n’est pas le cas du journaliste qui rappelle la place difficile qu’elles occupent dans la révolution égyptienne. Celle d’Aliaa par exemple, la jeune blogueuse, première Égyptienne à s’être mise en scène nue en photo sur son blog, avant d’être recherchée par la police et de vivre aujourd’hui cachée de tous ; ou la meneuse, Engy Ghozlan, créatrice du site HarrassMap.org qui permet aux femmes de signaler et cartographier en temps réel les violences dont elles sont victimes, de l’insulte au viol en passant par les attouchements. Une initiative qu’Alfred de Montesquiou soutient, ayant vécu en Égypte, et pouvant témoigner du fait que les femmes sont empêchées, en cas de problème, de porter plainte, qu’il s’agisse de la réaction de la famille, de celle de l’agent de police, ou tout simplement de la honte ressentie.
Bien écrit, vivant, l’ouvrage se lit comme un roman d’aventures. Seule ombre au tableau, le chapitre consacré au Mali. On y parle d’Algérie, de trafics, mais finalement peu des populations locales et du contexte politique et social général concernant le pays. Problème compensé par une bibliographie sélective très riche, qui donne envie de continuer le voyage en compagnie d’Ibn Battuta et de bien d’autres auteurs.
Julie Gommes
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