Cette recension est issue de Politique étrangère 3/2013. Nele Katharina Wissmann propose une analyse de l’ouvrage de Thilo Sarrazin, L’Allemagne disparaît (Paris, éditions du Toucan, 2013, 520 pages).

00-SarrazinDébut avril 2013, après trois ans d’enquête, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale des Nations unies a conclu que l’Allemagne avait porté atteinte à la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale en refusant une plainte concernant des propos tenus par l’ancien membre du directoire de la Bundesbank et membre du Parti social-démocrate (SPD) Thilo Sarrazin. En 2009, T. Sarrazin avait affirmé dans une interview publiée dans la revue allemande Lettre Internationale [1] que la majorité des Turcs habitant à Berlin n’avaient pas de fonction « productive » hors des petits commerces de légumes. Selon lui, ces habitants étaient en train de conquérir l’Allemagne par leur taux de natalité plus élevé que celui des Allemands de souche, ce qui poserait un vrai problème du fait de leur quotient intellectuel inférieur à la moyenne. Ces remarques ont conduit la Fédération turque de Berlin (TBB) à porter plainte pour incitation à la haine raciale.
Quatre ans après cette interview et trois après la publication de son livre contesté Deutschland schafft sich ab, qui compte parmi les meilleures ventes d’essais en Allemagne, l’argumentaire de T. Sarrazin est désormais accessible au lectorat français. Le titre de la traduction française va plus loin que l’original L’Allemagne court à sa perte, et avertit désormais que L’Allemagne disparaît. Sur plus de 400 pages, T. Sarrazin explique pourquoi l’Allemagne fait fausse route avec sa politique sociale et devrait revoir sa politique de migration et d’intégration. À première vue, ses arguments semblent scientifiquement étayés, le lecteur se trouvant face à pas moins de 500 notes de bas de page et de 30 pages d’annexes. Plusieurs études ont cependant démontré le manque de cohérence des affirmations formulées [2]. Dans une partie portant sur « les problèmes économiques de l’intégration », l’auteur explique par exemple pourquoi la population musulmane profite davantage du système social allemand que les migrants de pays non-musulmans, est plus souvent au chômage, et échoue plus fréquemment à l’école. Il s’appuie pour cela sur une étude de l’Office fédéral de la statistique [3], laquelle ne précise cependant pas l’appartenance religieuse des personnes interrogées. T. Sarrazin mène un faux débat quand il parle d’un refus des musulmans de s’intégrer culturellement au motif qu’ils interdiraient majoritairement aux filles de participer à l’éducation physique et sportive : les statistiques évaluent ce refus de participation à 7 à 10 % des personnes concernées.
Le lecteur qui s’attend à une étude scientifique sur un sujet d’une importance primordiale pour l’Allemagne et ses voisins sera donc déçu. La lecture de cet ouvrage peut cependant permettre une meilleure compréhension du débat sur l’intégration en Allemagne, mené avec un certain malaise… À plusieurs reprises, l’auteur franchit la ligne rouge, comme par exemple lorsqu’il parle d’une « conquête (musulmane) par fécondité », ou d’une intelligence héréditaire, qui serait, pour lui, inférieure chez les musulmans par rapport au reste de la population allemande.

Nele Katharina Wissmann

1. Lettre Internationale, no 86, automne 2009.
2. N. Foroutan (dir.), « Sarrazins Thesen auf dem Prüfstand. Ein empirischer Gegenentwurf zu Thilo Sarrazins Thesen zu Muslimen in Deutschland », Humboldt-Universität Berlin, décembre 2010.
3. Statistisches Bundesamt, Mikrozensus 2007, Wiesbaden.

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