traumatismeCette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (1/2014). Stéphane Tison propose une analyse de l’ouvrage de Nicolas Beaupré, Le traumatisme de la Grande Guerre. 1918-1933
(Villeneuve d’Asq, Presses universitaires du Septentrion, 2012, 304 pages).

Dans ce huitième volume de la collection « Histoire franco-allemande », Nicolas Beaupré propose d’analyser l’entre-deux-guerres comme une tentative de cure du « trauma de guerre ». C’est dans les représentations que l’historien cherche à saisir la profondeur du traumatisme collectif causé par l’expérience individuelle de la mort de masse. Il montre tout au long de l’ouvrage comment cette expérience commune à bien des contemporains fut élaborée, parfois dépassée, plus souvent instrumentalisée, ravivant des plaies ouvertes à chaque moment de tension entre les deux nations.

Dans les deux parties de l’ouvrage, l’une chronologique, la seconde plus thématique, l’auteur réussit à dilater la périodicité traditionnelle de l’entre-deux-guerres en axant son propos sur l’onde de choc de la Grande Guerre. L’analyse des legs du premier conflit mondial, dans les domaines politique, social, culturel, diplomatique, demeure le fil directeur de l’ouvrage, permettant de subsumer les histoires nationales. Ainsi présente-t-il dans une première partie la période 1918-1932 comme après-guerre, dans six chapitres chronologiques analysant successivement : la fin de la guerre et la démobilisation, la paix armée de Versailles et la poursuite d’un face-à-face hostile entre l’Allemagne et la France et enfin les illusions d’une courte paix sombrant dans la crise économique internationale. Dans une seconde partie, il analyse tour à tour les effets de la guerre sur la société à travers le deuil et les commémorations, la reconstruction, les confrontations et échanges en territoires occupés, la situation spécifique des mandats, la crise de la Ruhr comme moment de cristallisation des imaginaires issus de la guerre, la démobilisation culturelle à partir de l’étude de cas des intellectuels, le pacte de Locarno, avant d’interroger le sens de la périodisation choisie (1918-1933). L’approche transnationale lui permet de remettre en perspective les principaux débats historiographiques sur le Sonderweg, la lecture de la période 1914-1945 comme une « guerre de 30 ans », de même que la question de la « brutalisation » des sociétés par l’expérience de la guerre.

L’originalité de l’approche tient à l’usage des différentes méthodes permettant de réaliser l’étude conjointe des deux sociétés « malades de la guerre », en déplaçant la focale d’étude. L’auteur use tantôt de la comparaison centrée sur les sorties de guerre et les commémorations, tantôt de l’histoire croisée portant sur l’occupation, mettant en valeur les points de vue des occupants et des occupés, ou analyse les transferts culturels et intellectuels autour des accords de Locarno. Sans doute les chapitres présentant la situation des espaces frontaliers sont-ils les plus riches, lorsque N. Beaupré décrit la centralité symbolique de ces espaces dans les représentations des deux sociétés.

Nicolas Beaupré réussit à montrer l’ombre portée de la guerre dans les actions et les représentations de deux sociétés marquées par l’expérience de la mort de masse, tout en mettant en valeur les ressorts de démobilisations culturelles plus ou moins abouties. En cela, à la suite d’historiens allemands tel Detlev Peukert, il parvient à restituer les possibilités ouvertes à ces deux sociétés, refusant la téléologie d’un entre-deux-guerres qui mènerait obligatoirement à un second conflit mondial.

Stéphane Tison

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