Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (1/2014). Nele Katharina Wissmann propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Bernd Ulrich et Benjamin Ziemann, Frontalltag im Ersten Weltkrieg. Ein historisches Lesebuch (Essen, Klartext, 2008, 160 pages).
Avec ce recueil de documents, Bernd Ulrich et Benjamin Ziemann entendent présenter le quotidien des soldats allemands au front durant la Première Guerre mondiale. Plus de 200 de ces documents sont ici rassemblés, issus notamment des archives fédérales allemandes et des archives des capitales régionales de Munich, Hambourg et Stuttgart. Outre des textes militaires, l’ouvrage comprend des extraits de lettres du front et de carnets de guerre. Les auteurs soulignent dans leur introduction qu’ils entendent utiliser ces documents pour réfuter la légende du « coup de poignard dans le dos » (Dolchstoßlegende). Cette dernière refuse d‘expliquer l’issue de la guerre par la perte des combats sur le champ de bataille, pour rejeter la faute sur les milieux de gauche, les juifs, les pacifistes ou les sociaux-démocrates, la responsabilité de ces opposants à la guerre étant utilisée alternativement en fonction des besoins politiques. C’est bien la volonté de détruire le mythe d’une armée allemande « invaincue sur le champ de bataille » qui a guidé le choix des documents. Soixante regroupements d’entre eux illustrent cinq chapitres thématico-chronologiques : l’entrée en guerre, la réalité du conflit, les dysfonctionnements, l’opposition, la fin de la guerre. Au fil de la lecture, le lecteur traverse la période, de la décadence morale des soldats allemands jusqu’à la prévalence d’un sentiment d’indifférence largement répandu, en passant par le souhait qu’on « en finisse enfin » avec ce conflit.
Aujourd’hui, les historiens rejettent très largement la légende du « coup de poignard ». Pour le lecteur, le recueil n’apporte en ce sens aucun élément nouveau. Par ailleurs, les deux auteurs placent la vie au front au cœur de leur choix de documents. Mais cette « vie au front » est difficile à définir. Les documents qui figurent dans ce livre proviennent en grande partie du front de l’Ouest, la vie sur les fronts de l’Est et du Sud n’étant mentionnée que de manière sporadique. La vie au front ainsi décrite est donc associée à ce que l‘on connaît déjà de la Première Guerre mondiale : guerre de positions, utilisation de gaz toxiques et assauts, souvent vains, vers les tranchées adverses. On ne saisit pas bien non plus dans quelle mesure ce qui est raconté est représentatif de la vie au front, car on se demande comment cette armée, déjà démoralisée peu de temps après le début de la guerre, a pu persévérer dans son combat contre l’adversaire pendant encore quatre ans.
Des points positifs peuvent néanmoins être soulignés, notamment les remarques préliminaires, courtes mais pertinentes, qui introduisent chaque document, ainsi que les notes mettant en relation les divers textes. Les documents choisis parviennent à retranscrire authentiquement le caractère dramatique de la Première Guerre Mondiale : la pression qui pèse sur les insoumis, la censure du courrier du front contournée par l’usage de langages codés, les mesures disciplinaires du régime pénitentiaire militaire. Au final, l’ouvrage présente un tableau intéressant de la vie au front avant tout grâce aux lettres, écrites dans un langage souvent assez maladroit mais qui dépeignent sans fard des scènes du quotidien.
Nele Katharina Wissmann
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