weimar republikCette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (1/2014). Hélène Miard-Delacroix propose une analyse de l’ouvrage de Arndt Weinrich, Der weltkrieg als Erzieher. Jugend zwischen Weimarer Republik und Nationalsozialismus (Essen, Klartext, 2012, 352 pages).

À l’heure des commémorations, l’étude d’Arndt Weinrich est bienvenue car elle déplace le regard sur la prégnance de la guerre dans les décennies suivant le conflit de 1914-1918. Se concentrant sur le cas de l’Allemagne, dont la défaite constitue une impasse ne permettant pas aux hommes de donner un sens à leur sacrifice, l’auteur examine la façon particulière dont l’expérience de la Grande Guerre a été intégrée dans les représentations de la société allemande des années 1918 à 1945. Il s’intéresse en particulier à la transmission de l’image positive du soldat et à la valeur accordée à la guerre et à l’héroïsme dans l’éducation des jeunes pendant la République de Weimar et les années du national-socialisme.

Ce livre éclaire non seulement l’absence de réelle démobilisation dans l’Allemagne vaincue, mais aussi la politisation de l’expérience de la guerre, son ancrage dans les différents milieux et les modalités de sa transmission à la jeunesse, jusqu’à son instrumentalisation par les nazis. On connaît la fameuse légende du « coup de poignard » qu’en 1918 les civils, républicains et sociaux-démocrates, prétendus traîtres, auraient fiché dans le dos d’une armée qui aurait, sans cela, été victorieuse. La jeunesse l’a assimilée en même temps que les valeurs héroïques de la guerre, jugeant injustes et inacceptables les conditions du traité de Versailles et insensé le sacrifice des pères. Le culte des morts, présent dans les différentes organisations de jeunesse, a ainsi maintenu une culture de guerre avec ses traits particuliers de rudesse, de violence mais aussi de camaraderie. Il est frappant que les associations catholiques, pourtant plus résistantes aux discours martiaux, aient, elles aussi, transformé en héros les pères victimes de la guerre et intégré dans leur imaginaire la virilité comme valeur, ainsi que la noblesse du sacrifice consenti. Les jeunes socialistes ont, de même, greffé ce mythe du soldat sur les traditions pacifistes du mouvement ouvrier.

Organisé en trois grandes parties, l’ouvrage analyse d’abord le culte des morts et les pratiques commémoratives des différentes organisations de jeunesse avant la prise de pouvoir par les nazis, puis la confiscation du modèle du soldat et son instrumentalisation par les Jeunesses hitlériennes, enfin un exemple particulier d’héroïsation du soldat et d’installation du mythe, avec la mémoire de la fameuse bataille de Langemark d’octobre-novembre 1914.

Parmi les nombreux enseignements d’un ouvrage très fouillé, on évoquera les efforts, notamment sémantiques, de la Jeunesse hitlérienne pour s’imposer face aux anciens combattants. L’organisation nazie l’a emporté en développant le culte de ceux qui sont tombés au front et en refusant celui des survivants. Elle a accaparé le terme de « soldat du front », tout en le combinant avec le culte de ses propres martyrs nazis. Ce livre s’inscrit dans la ligne de l’histoire culturelle et de la psychologie sociale. Il poursuit le questionnement, par exemple sur la notion de « brutalisation » des sociétés dans la Grande Guerre, élaborée en 1990 par George L. Mosse. Il contribue surtout à une meilleure compréhension des liens tissés entre le national-socialisme et la Première Guerre mondiale. La transmission du modèle du sacrifice militaire aux jeunes Allemands sous Weimar avait solidement ancré chez eux la représentation de la société comme une communauté fondée sur la camaraderie. Elle les avait en quelque sorte préparés à accepter la brutalité d’un régime criminel.

Hélène Miard-Delacroix

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