Japon

Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (1/2014). Miho Matsunuma propose une analyse de l’ouvrage de Naraoka Shôchi, [Les Japonais qui ont entendu « le grondement d’août » : la Première Guerre mondiale et le journal de prison de Uemura Hisakiyo], (Tokyo, Chikura Shobô, mars 2013).

En juillet 1914, quelque 600 Japonais se trouvent en Allemagne. Des centaines seront arrêtés puis internés. La première moitié de cet ouvrage étudie l’expérience de ces Japonais, sa deuxième moitié est consacrée à la réimpression des mémoires de l’un d’eux, Uemura Hisakiyo, médecin bactériologiste qui a connu l’internement durant 80 jours.

L’internement des étrangers civils des pays ennemis est un phénomène que l’on observe dans tous les pays belligérants. C’est une des caractéristiques de la « guerre totale », qui mobilise tous les citoyens pour l’effort de guerre, transformant ainsi tous les nationaux de l’adversaire en ennemis, sans distinction entre militaires et civils.

Quant aux impressions des Japonais sur l’internement en Allemagne, soulignons deux points. Premièrement, les Japonais interprètent souvent l’arrogance des autorités allemandes et l’exaspération du public comme un effet non seulement de la haine contre l’adversaire de guerre, mais aussi et surtout du mépris des Blancs contre les peuples de couleur. La question raciale était souvent obsessionnelle et affective pour les Japonais de l’époque, surtout dans l’élite internationalisée. Rappelons que, depuis le début du siècle, les mesures discriminatoires contre les Japonais aux États-Unis et dans les dominions britanniques préoccupaient la diplomatie nippone. Nous savons aussi que le Japon proposera à la Conférence de Versailles d’insérer une clause sur l’égalité raciale dans le protocole de la Société des Nations (SDN), proposition qui sera rejetée par les négociateurs.

Les Japonais dénoncent aussi le traitement allemand à leur égard en le comparant avec la politique de leur pays : à leur avis, le traitement par les autorités nippones des prisonniers de guerre russes pendant la guerre russo-japonaise, ainsi que celui des ressortissants civils et militaires allemands et autrichiens pendant la Grande Guerre, sont corrects et même respectueux. Ils considèrent donc les Japonais plus « civilisés » que les « barbares » allemands …

Du point de vue historiographique, on peut situer cette étude dans deux contextes. D’abord, dans l’historiographie japonaise sur la guerre : aussi bien dans les recherches en histoire que dans la mémoire collective, cette guerre n’est pas la « Grande Guerre » pour le Japon, même si des historiens japonais ont étudié le sujet. Depuis quelques années cependant, en accord avec le développement international des recherches, l’intérêt scientifique pour cette guerre croît. Cet ouvrage se situe dans ce courant, son objectif étant de faire connaître l’expérience oubliée des Japonais en Allemagne, complètement différente de celle des Japonais dans leur propre pays.

Un deuxième point concerne les connaissances disponibles sur l’internement des populations civiles en temps de guerre. Au Japon, cette question est déjà amplement étudiée pour ce qui concerne les Japonais aux États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale, et des publications plus récentes se sont intéressées aux Japonais en Australie et en Nouvelle-Calédonie, ainsi qu’aux populations étrangères des pays ennemis qui se trouvaient au Japon pendant la Seconde Guerre mondiale. Quant à la Première Guerre mondiale, le sort des prisonniers de guerre allemands et autrichiens détenus au Japon est connu. Dans ce contexte historiographique, les nouveaux éléments apportés par cet ouvrage pourraient fonder une réflexion comparative, notamment sur le sort des populations civiles originaires des pays ennemis pendant la Grande Guerre. Pour qu’une telle comparaison se concrétise, il faut souhaiter que les recherches de cet auteur soient traduites.

Miho Matsunuma

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