Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (2/2014). Vivien Pertusot propose une analyse de l’ouvrage d’ Anthony Giddens, Turbulent and Mighty Continent. What Future for Europe?, (Cambridge, Polity, 2013, 224 pages).
Anthony Giddens est un auteur prolifique, mais il a finalement assez peu écrit sur l’Europe. On retrouve toutefois ici certains concepts développés auparavant, notamment celui du « modèle social européen », central dans Europe in the Global Age (2007). L’objectif du présent ouvrage est clair : la crise de confiance que traverse l’Union européenne (UE) est profonde, mais il n’est pas trop tard pour la résorber. À cette fin, Giddens ne voit d’autre solution que d’approfondir l’intégration de la zone euro, car « une solution fédérale, même minimaliste, n’est pas simplement de nouveau à l’ordre du jour, c’est une exigence ».
Tout d’abord, la foi des citoyens envers le projet européen s’amenuise. Ce phénomène s’est accéléré ces dernières années avec une intégration effrénée, qui a créé plus de désespoir que d’espérance. Ensuite, l’auteur relève l’émergence négative de deux Europe, EU1 et EU2. EU1 représente l’Europe communautaire, autrement dit les institutions européennes, que l’auteur appelle l’« Europe de papier », et dont l’influence a chuté au détriment d’EU2, l’Europe intergouvernementale dominée de facto par l’Allemagne et dans laquelle les décisions se prennent de manière confidentielle.
La troisième raison qui pousse à l’intégration est que la souveraineté n’a de valeur que si elle peut être défendue. Pour peser face aux États-Unis et à la Chine, les États européens doivent mutualiser davantage leur souveraineté, ce que Giddens appelle la « souveraineté + ». Toutefois, l’auteur admet que cette voie fédérale doit reposer sur un pacte : des réformes structurelles profondes dans tous les États membres et la mise en œuvre d’un mécanisme de mutualisation des dettes. Un autre paramètre s’imposerait alors, puisque cette voie, où la zone euro serait utilisée, ne laisserait que peu de place à l’intégration différentiée.
Dans ce cadre d’analyse, l’auteur traite d’un grand nombre de sujets : le réchauffement global, l’énergie, l’immigration, l’économie numérique, la diplomatie… Ses prises de position sont tranchées. Du point de vue institutionnel par exemple, le Parlement européen devrait obtenir plus de pouvoirs, le Conseil européen être transformé en Sénat et la Commission ressembler davantage à une administration, « moins intéressée par le fait de proposer des politiques que de les actualiser ». Au niveau économique et social, il affine son concept de modèle social européen, prônant la fin de l’État-providence en faveur de l’« État de l’investissement social ». Ce dernier pousserait les individus à réussir plutôt que de s’occuper d’eux quand les temps sont durs ; cela suppose l’existence de droits, mais aussi d’obligations pour les citoyens, afin notamment d’empêcher tout abus du système.
Turbulent and Mighty Continent regorge d’idées, mais son auteur est-il convaincant ? Les citoyens européens sont quasiment absents de ses réflexions, alors même qu’il considère, à juste titre, qu’il existe une déconnexion entre eux et l’Europe. En outre, il adopte un prisme souvent présent dans les ouvrages profédéralistes, celui du tout ou rien, d’autant qu’il expose ses arguments comme une évidence incontournable en dépit d’obstacles politiques très forts. Mais à défaut d’aborder le sujet avec le regard agnostique qui manque à la littérature sur l’Europe, cet ouvrage offre un cadre de pensée cohérent et stimulant.
Vivien Pertusot
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