Cette recension est issue de Politique étrangère (3/2014). Yves Gounin propose une analyse de l’actualité éditoriale sur le Mali, avec une lecture croisée de plusieurs ouvrages, dont : Jean-Christophe Notin, La Guerre de la France au Mali (Tallandier, 2014, 656 pages) ; Patrick Gonin, Nathalie Kotlok et Marc-Antoine Pérouse de Montclos (dir.), La Tragédie malienne (Vendémiaire, 2013, 352 pages) ; Mériadec Raffray, Touaregs. La révolte des hommes bleus (1857-2013) (Economica, 2013, 112 pages) ; et Thierry Perret, Mali. Une crise au Sahel (Karthala, 2014, 240 pages).
On a vu se multiplier en France les publications sur le Mali : près d’une vingtaine d’ouvrages lui ont ainsi étéconsacrés depuis le déclenchement de l’opération Serval en janvier 2013. Dans les années précédentes, ils se comptaient sur les doigts d’une main – hormis quelques ouvrages scientifiques à la diffusion confidentielle.
Paradoxalement, le Mali n’est pas l’acteur central de cet engouement éditorial. C’est la France qui occupe cette place. Les livres sur le Mali sont, en réalité, des livres sur la France. Car si le sujet est devenu d’actualité, c’est du fait de l’intervention française. Il y a fort à parier en effet que, sans l’opération Serval, les soubresauts intérieurs de la politique malienne, aussi inquiétants fussent-ils, n’auraient guère intéressé l’édition française. En témoigne le manque d’ouvrages de fond sur Boko Haram, ou sur la situation qui prévaut au Nord du Nigeria[1].
C’est la raison pour laquelle une grande partie de ces ouvrages traite autant sinon plus de la France, de sa politique africaine, de ses campagnes militaires que du Mali lui-même.
C’est au premier chef le cas de l’impressionnant travail de Jean-Christophe Notin, le livre le plus récent de la série d’ouvrages cités ici. L’auteur n’est pas un spécialiste du Mali, pas même de l’Afrique. Polytechnicien, ingénieur des mines, il s’intéresse à l’étude des opérations militaires françaises contemporaines. Après ses livres sur l’Afghanistan (La Guerre de l’ombre des Français en Afghanistan, Fayard, 2011), la Libye (La Vérité sur notre guerre en Libye, Fayard, 2012) et la Côte d’Ivoire (Le Crocodile et le Scorpion, Éd. du Rocher, 2013), sa « guerre de la France au Mali » peut se lire comme le quatrième opus d’une immense chronique militaire sur les opérations extérieures françaises – en attendant peut-être une cinquième contribution sur l’opération Sangaris en République centrafricaine… Il éclaire ici les motifs du renversement de la position des Français qui, après avoir clamé des mois durant qu’il n’y aurait pas d’intervention, ont lancé sans préavis une opération militaire de grande ampleur sans disposer d’un mandat de l’Organisation des Nations unies[2]. Impressionné par la réactivité de la chaîne de commandement et la disponibilité des militaires, il montre avec quelle efficacité a été menée cette mission aux objectifs clairs (1/ stopper l’ennemi, 2/ aider le gouvernement malien à reconquérir le pays, 3/ détruire les terroristes).
À chaque fois, la méthode de Notin est la même : des centaines d’interviews avec tous les protagonistes (français) du conflit, une précision d’entomologiste dans la description des moindres mouvements militaires, quelques révélations inédites sur tel ou tel aspect de la crise – par exemple sur la surestimation de la menace militaire djihadiste ayant entraîné la décision présidentielle de déclenchement des hostilités le 11 janvier 2013 . À chaque fois, les critiques sont les mêmes : une narration embedded faisant la part belle à la France, à son armée et à la virile rusticité de ses soldats ; une surabondance de considérations tactiques qui feront peut-être la joie des fana milis mais lasseront les autres lecteurs ; une insuffisante prise en compte des spécificités locales du terrain africain – que l’auteur admet honnêtement ne pas connaître avant le début des opérations…
L’ouvrage de Notin n’en reste pas moins le plus complet sur l’opération Serval. Sa réception témoigne d’ailleurs de sa qualité. L’Express en a publié les bonnes pages début juin. Jean-Dominique Merchet, dont on sait le rôle qu’il joue dans la communauté militaire, lui a consacré un article élogieux sur son blog[3].
Il éclipse sans peine les autres ouvrages que les militaires ont consacrés à Serval : celui du général – de deuxième section – Jean Fleury (La France en guerre au Mali, Jean Picollec, 2013) ou celui du groupe Synopsis du Centre de recherches des écoles de Saint-Cyr Coëtquidan (Opération Serval au Mali, Lavauzelle, 2013). La présentation que ces trois ouvrages font des faits n’est pas innocente : si Serval est une réussite militaire, c’est grâce au professionnalisme des armées françaises que la loi de programmation militaire – en cours de discussion lors de la rédaction de ces livres – risque de mettre en péril au nom de l’austérité budgétaire. La narration d’une victoire se transforme en plaidoyer pro domo pour la défense du budget militaire.
Une approche moins strictement militaire, plus politique, mais toujours focalisée sur la France, caractérise une deuxième catégorie d’ouvrages. Là encore, les auteurs ne sont pas spécialistes du Mali, mais bien plutôt de la France, de sa politique étrangère et de ses relations avec l’Afrique.
C’est le cas du livre que la journaliste Isabelle Lasserre, spécialiste de politique étrangère au Figaro – elle avait publié chez Flammarion en 2007 une analyse au vitriol de l’obsolescence de l’outil diplomatique français : L’Impuissance française –, signe avec son collègue Thierry Oberlé (Notre guerre secrète au Mali, Fayard, 2013). Le titre de leur ouvrage est caractéristique d’un biais éditorial fréquent dans l’édition – et surprenant de la part d’une maison aussi sérieuse que Fayard : la guerre de la France au Mali aurait été « secrète » au motif que l’état-major l’avait préparée depuis 2009 ! Bel exemple de l’ignorance dans laquelle on tient la planification militaire dont la raison d’être est précisément de prévoir l’imprévisible, en anticipant les scénarios les plus dangereux. Notin met les points sur les i : « Le CPCO [Centre de planification et de conduite des opérations] est fait pour planifier. À dire vrai, et heureusement, il planifie même beaucoup plus qu’il ne conduit de batailles. » Plus étonnant encore est le sous-titre du livre de Lasserre et Oberlé : Les Nouvelles Menaces contre la France – dont il est d’ailleurs fort peu question –, signe que l’éditeur a voulu jouer sur la corde sensible de la peur de l’expansion d’une menace djihadiste aux portes de l’Europe, argument d’ailleurs utilisé pour justifier l’opération Serval.
D’une tout autre veine procèdent les ouvrages de Nicolas Beau (Papa Hollande au Mali, Balland, 2013) et de l’association Survie (La France en guerre au Mali. Enjeux et zones d’ombre, Tribord, 2013). Le fondateur du site d’informations en ligne Bakchich et les héritiers de François-Xavier Verschave se font les contempteurs de la politique africaine de François Hollande auquel ils reprochent, horresco referens, d’avoir chaussé les bottes de Nicolas Sarkozy. La charge peut viser juste, dans la critique de l’amateurisme guerrier du président ou de l’absence de politique de long terme au-delà de la victoire militaire. Mais le manque de subtilité et le parti pris systématique des deux livres les privent d’une partie de leur efficacité. Le sujet a été autrement mieux traité par Antoine Glaser dans les multiples ouvrages qu’il a consacrés à la Françafrique, jusqu’au tout dernier, sorti après l’opération Serval mais qui ne traite pas seulement du Mali (AfricaFrance, Fayard, 2014).
Par réaction à ces ouvrages d’actualité, vite (et, souvent hélas, mal) écrits par des journalistes en quête de sujets accrocheurs, les vrais spécialistes du Mali ne sont pas restés passifs. Ce troisième groupe d’auteurs entend donner à voir le vrai Mali, au-delà des raccourcis et caricatures. Ils souhaitent contextualiser l’opération Serval en soulignant les spécificités du théâtre malien.
On a rendu compte dans ces colonnes de l’ouvrage collectif dirigé par Michel Galy, La Guerre au Mali. Comprendre la crise au Sahel et au Sahara[4]. Nous avions salué la qualité des contributeurs réunis et leur capacité à replacer dans le temps long les enjeux de l’opération Serval, quelques semaines à peine après son déclenchement. Nous avions aussi critiqué le parti pris d’auteurs réduisant, avec un brin de paranoïa, la politique française au Mali à une entreprise de néocolonisation qui n’oserait dire son nom.
L’ouvrage collectif La Tragédie malienne n’encourt pas pareille critique. Il n’évoque guère l’opération Serval, sinon dans l’introduction de Marc-Antoine Pérouse de Montclos. C’est sa force et sa faiblesse. Il atteint certes l’objectif vulgarisateur qu’il se fixe dans son avant-propos : « appréhender le Mali sous toutes ces facettes », dans une série d’articles consacrés à l’histoire, à la géographie, à l’ethnologie, à l’économie du pays. Mais cette présentation devient vite assez scolaire, faute d’être reliée à l’actualité la plus récente.
L’opération Serval est aussi l’occasion de s’intéresser aux Touaregs. La thèse magistrale de Pierre Boilley reste une référence difficilement dépassable (Les Touaregs Kel Adagh, Karthala, 1999). Mais le court ouvrage de Mériadec Raffray, intitulé Touaregs. La révolte des hommes bleus, constitue une utile mise à jour qui, suivant un plan historique classique mais efficace, présente la destinée d’« hommes bleus » pris aux pièges de frontières qui les déchirent. Ces rebelles suscitent en France une empathie irrationnelle, que nourrissent des ouvrages ouvertement militants. C’était déjà le cas de Hélène Claudot-Awad – qui rédigeait un chapitre du livre collectif dirigé par Galy. C’est encore celui de Gael Baryn dont le titre suffit à donner le ton : Dans les mâchoires du chacal. Mes amis touaregs en guerre au Nord-Mali (Le Passager clandestin, 2013).
Le livre de Thierry Perret, Mali. Une crise au Sahel, est à l’intersection de ces trois catégories. Il ne traite pas à proprement parler de l’opération Serval mais la replace dans le long terme de l’histoire du Mali : construction chaotique d’un État faible, échec de l’intégration à la nation malienne de la minorité touarègue, insidieuse islamisation de la société malienne, inquiétant développement de pratiques terroristes dans les marges désertiques du Nord-Mali, apories de l’intervention militaire face aux défis de l’État à construire, etc.
Thierry Perret connaît bien le Mali pour y avoir souvent séjourné, sans prétendre pour autant passer pour un spécialiste. Son livre est bien troussé et se lit avec plaisir ; mais il ne cède jamais à la facilité et s’appuie sur une bibliographie très charpentée. C’est sans hésiter le livre que l’on conseillerait au lecteur qui souhaiterait n’en retenir qu’un seul.
[1] Explication supplémentaire : la difficulté d’accéder à cette zone, aujourd’hui concrètement coupée du reste du Nigeria.
[2] Si la France peut, à bon droit, fonder la légitimité de son intervention sur la demande d’aide que lui ont adressée les autorités maliennes, aucune résolution du Conseil de sécurité des Nations unies – et notamment pas la résolution 2085 – n’autorisait Paris à mener une telle opération.
[3] Disponible sur : <www.lopinion.fr/17-juin-2014/secrets-guerre-francaise-mali-13451>.
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