Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (3/2014). Marie Gayte propose une analyse de l’ouvrage de Blandine Chelini-Pont, La Droite catholique aux États-Unis. De la guerre froide aux années 2000 (PUR, 2013, 373 pages).
Dans son étude, Blandine Chelini-Pont part d’un double constat : l’historiographie s’est essentiellement attachée à étudier l’association des catholiques au Parti démocrate, et les analyses consacrées aux dimensions religieuses du conservatisme américain ont surtout porté sur ses composantes juive et protestante. À partir de là, l’auteur cherche à expliquer dans quelle mesure les catholiques ont contribué au succès du Parti républicain ces trente dernières années. Au-delà, la grande originalité de ce travail est de montrer que la pensée catholique conservatrice a non seulement permis l’émergence d’un véritable conservatisme américain, mais a aussi contribué, de manière déterminante, à façonner deux mouvements clés du conservatisme actuel.
Bien avant l’émergence des neocons et des théoconservateurs à la fin des années 1970, ce sont des catholiques qui, dans les années 1950, ont posé certains jalons intellectuels du conservatisme américain. L’émergence de cette pensée chez des catholiques pétris de tradition libérale est le fruit de l’émancipation de cette minorité qui rejoint le mainstream de la société américaine, et sa fervente opposition au communisme. De cette réflexion naît un mouvement conservateur qui prône le retour aux traditions américaines des fondateurs, « dévoyées » par le libéralisme progressiste du Parti démocrate. Cette tendance est incarnée par Russell Kirk et un mouvement plus radical auquel sont associés William Buckley et Brent Bozell, qui souhaitent l’instauration d’une véritable république chrétienne. Tous deux ont en commun d’inscrire la tradition politique américaine non pas dans la logique des Lumières, mais dans celle de la loi naturelle catholique, qui aurait été l’inspiration réelle des Pères fondateurs.
L’alliance de ces mouvances autour de la synthèse « fusionniste » de Frank Meyer pendant les années 1960 ne survit pas aux bouleversements que connaissent l’Église catholique à la suite de Vatican II et la société américaine des décennies 1960 et 1970, avec l’émergence de la Nouvelle Gauche, la libération sexuelle et la légalisation de l’avortement. Tandis qu’une frange, autour de Buckley et de la National Review, s’amalgame aux néoconservateurs d’Irving Kristol, l’aile la plus fervente participe à l’édification de la Nouvelle Droite religieuse. Les catholiques apportent aux premiers, notamment, la justification religieuse de leur interventionnisme militaire, aux seconds l’argumentation juridico-politique de la nature chrétienne et divine de la Constitution américaine, loin du Dieu distant de la religion civile.
Après leur tentative infructueuse de faire élire le républicain Barry Goldwater en 1964, ces deux groupes, dont l’audience est grandissante auprès de l’électorat catholique, contribueront directement à l’élection de Ronald Reagan en 1980 et 1984. On les retrouve ensuite dans les premiers cercles du pouvoir de l’administration de George W. Bush. La présence de deux de ces « catho-conservateurs », Newt Gingrich et Rick Santorum, à la primaire républicaine de 2012 conduit même à s’interroger : pourrait-on voir un jour l’un des leurs représenter l’ancien parti anticatholique à la Maison-Blanche ?
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