Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (4/2014). Denis Bauchard propose une analyse de l’ouvrage de Pénélope Larzillière, La Jordanie contestataire. Militants islamistes, nationalistes et communistes (Actes Sud, 2013, 242 pages).
Les ouvrages en langue française sur la Jordanie sont rares : celui-ci apporte sur le pays, sa société et sa vie politique une analyse intéressante et originale qui mérite d’être relevée. Pénélope Larzillière est partie d’une enquête de terrain de plusieurs années au cours desquelles elle a pu recueillir les témoignages de nombreux militants de sensibilités différentes : nationalistes, communistes, islamistes. L’exploitation de ces entretiens lui a permis de reconstituer les trajectoires de ces militants, et de reconstituer la façon dont la « monarchie constitutionnelle » a géré, en combinant « ouverture et répression », la vie politique du royaume qui reste un îlot de stabilité au Moyen-Orient.
Le livre replace ces témoignages dans le contexte de l’histoire du pays depuis ses origines : création du mandataire britannique, la Jordanie a acquis une identité propre. Comme le mentionne l’auteur, « une identité spécifique jordanienne a été créée à partir de rien et c’est l’un des grands succès de la monarchie hachémite ». Les différentes trajectoires suivies par les militants que Larzillière a interrogés présentent des points communs. Le premier engagement politique intervient parfois dès le lycée, mais le plus souvent à l’université. Il est fondé sur un sentiment d’injustice ou une réaction contre la pauvreté. La question palestinienne est naturellement un motif d’engagement pour les Jordaniens d’origine palestinienne. Cette imprégnation politique se fait avec l’aide d’un « passeur », qui peut être un enseignant, un militant ou un responsable associatif. La tendance naturelle est d’adhérer au courant dominant dans l’université. L’influence des Frères musulmans est à cet égard efficacement relayée par leurs activités associatives et leur souci de proposer des services aux étudiants. Elle est d’autant plus forte que le pouvoir les ménage, tandis que les nationalistes et les communistes sont davantage surveillés et poursuivis. La contestation politique étant particulièrement sous surveillance, le militantisme passe le plus souvent par ces « arènes » que constituent les syndicats ou les associations qui essaient de promouvoir les droits de l’homme ou la démocratie.
Le paysage politique évolue, même si le printemps arabe n’a eu qu’un impact limité en Jordanie et n’a pas déstabilisé le régime. Certes, des réformes sont intervenues – souvent cosmétiques –, mais le régime est encore loin d’être une véritable monarchie constitutionnelle. Quant à l’influence des Frères musulmans, elle est plutôt en recul. Un déclin qui profite aux salafistes, lesquels rencontrent beaucoup de sympathie auprès des jeunes. Chez les Transjordaniens, les anciens militaires développent également une contestation placée sous le signe de la dénonciation de la corruption. Grâce à son « autoritarisme libéral », le roi Abdallah semble conserver d’autant mieux le contrôle de la situation que la Confrérie se trouve, depuis la chute du président égyptien Morsi, dans une situation défensive. Mais elle reste la seule force ayant un projet politique clairement identifiable. Hors d’elle, « peu de visions politiques claires émergent […] face aux attentes des révoltes arabes ». Cette réflexion dépasse le cadre jordanien et pourrait s’appliquer à d’autres pays arabes où les révoltes n’ont pu se concrétiser en projet politique précis.
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