Florence Gaub, auteure d’un article sur la Libye paru dans le numéro d’automne 2012 de Politique étrangère, a accepté de répondre à trois questions en exclusivité pour politique-etrangere.com.

L’article que vous avez écrit dans le numéro d’automne 2012 de Politique étrangère, soit un an après la chute de Mouammar Kadhafi, était intitulé « Libye, le rêve de Kadhafi devient-il réalité ? ». Qu’entendiez-vous par là ?

Kadhafi rêvait d’une société déhiérarchisée, sans institutions étatiques. Dans sa vision politique, les questions relevant de la vie commune devaient être réglées par un accord au plus bas niveau, dans les comités et commissions. Son rêve n’est pas devenu une réalité de son vivant, car la sécurité et la production du pétrole étaient restées entre les mains du régime. En 2012, après la chute de Kadhafi, non seulement les Libyens ont tout de suite formé plusieurs comités et commissions, mais une gestion locale de la sécurité et de la production pétrolière s’est mise en place. Voilà pourquoi j’ai écrit que la vision politique de Kadhafi est finalement devenue une réalité, bien que ce soit une réalité bien triste.

La situation en Libye est actuellement très confuse. Quels sont les principaux acteurs impliqués dans le conflit ?

Ils sont nombreux et portent en général plusieurs chapeaux. Il existe des clivages régionaux (Est-Ouest), politiques (ancien régime contre rebelles, islamistes contre « laïques »), tribaux… Le problème est que ces clivages ne sont pas nets, et qu’il n’y a donc pas (ou très peu) de possibilités d’alliances. En résulte une sorte de déséquilibre de l’impuissance : personne n’est assez fort pour s’imposer, mais tous sont assez forts pour se nuire.

On peut par contre relever un problème fondamental : la loi d’isolement politique. Depuis le printemps 2013, elle exclut toute personne ayant participé de près ou de loin, à un poste politique ou administratif, au régime Kadhafi. Aucune différence n’est faite entre ceux qui ont réellement commis des crimes et ceux qui étaient de simples employés, ceux qui ont rejoint la révolution, ou même ceux qui ont fait défection (tels le général  Khalifa Haftar ou l’ancien président du Parlement Mohamed Youssef al-Megaryef). Ce clivage est central, car il déterminera à qui reviendra le pouvoir en Libye.

Selon vous, la communauté internationale devrait-elle intervenir davantage ? Et si oui, sous quelles formes ?

Cela dépend du résultat désiré. La Libye est en pleine chute, mais la sauver demande, au-delà de l’investissement politique déjà en place, un tel degré d’engagement que la situation n’est pour le moment pas « assez grave ». Cela peut paraître cynique, mais une intervention militaire sera, non seulement coûteuse et difficile à justifier, mais surtout incapable de résoudre le problème politique. Pour le moment, la meilleure chose à faire est de laisser Bernardino León, l’envoyé spécial de l’Organisation des nations unies (ONU), poursuivre son travail. Celui-ci tente de réunir les représentants libyens à Genève pour des négociations de réconciliation, mais sa tâche est difficile : la présence de Daesh et les problèmes de sécurité intérieure font que la situation évolue plus vite que les pourparlers.

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