Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (1/2015). Yoo Junghwan propose une analyse de l’ouvrage de Pascal Dayez-Burgeon, La Dynastie rouge. La Corée du Nord, 1945-2014 (Perrin, 2014, 446 pages).
Ancien diplomate culturel à Séoul, Pascal Dayez-Burgeon s’est imposé, avec ses trois précédents ouvrages, Les Coréens (Tallandier, 2011), Histoire de la Corée (Tallandier, 2012) et De Séoul à Pyongyang. Idées reçues sur les deux Corées (Le Cavalier bleu, 2013), comme un des principaux passeurs de la Corée en France. Avec La Dynastie rouge, il nous offre la première biographie croisée des trois Kim qui ont dirigé la Corée du Nord depuis 1945.
Loin des clichés habituels brodant sur l’absurdité du régime et la folie de ses dirigeants, l’auteur cherche à comprendre les raisons qui ont permis à la dynastie de tenir malgré ses échecs, ses provocations et ses volte-face à répétition. À ce titre, il place son analyse sous l’égide du Discours de la servitude volontaire (1548) d’Étienne de La Boétie. Les Kim ont réussi à mettre en place une monarchie absolue fondée sur la terreur d’État, mais aussi la propagande nationaliste, et surtout les privilèges accordés à une élite (alliés du clan Kim, militaires, cadres du parti) qui fait tout pour que le système reste en place.
Faisant appel à un grand nombre de sources, proposant une vaste mise en perspective historique mais aussi de nombreuses analyses originales – on apprend ainsi que le Ryugyong, l’immense tour conique qui domine Pyongyang, serait une métaphore du mont Paektu, l’Olympe coréenne dont prétendent descendre les Kim –, l’auteur parvient à développer son propos en cinq parties cohérentes et équilibrées.
Dans la première (« Le prince qu’on attendait »), il souligne que Kim Il-sung – né le même jour que le naufrage du Titanic ! – s’est imposé au bout de 35 ans d’occupation japonaise en se posant habilement comme un sauveur national mais aussi moral et social.
Dans une deuxième partie (« Le prétendant »), l’auteur décrit la fortuna mais aussi la virtù machiavéliennes qui permirent à Kim Il-sung de s’accrocher au pouvoir en s’appuyant alternativement sur Moscou et Pékin, et en purgeant systématiquement l’opposition, notamment après la guerre de Corée (1950-1953) qui fut pourtant pour lui un échec cuisant.
Dans sa troisième partie (« La monarchie spectacle »), est analysée la transformation du régime en monarchie héréditaire par le biais de la propagande, du cinéma et des spectacles de masse, ou encore du juche, idéologie ad hoc mêlant nationalisme, socialisme et confucianisme.
La quatrième partie (« La monarchie nucléaire ») traite du règne de Kim Jong-il qui, confronté à une famine sans précédent (1995-1997), est pourtant parvenu à se maintenir en transformant le régime en dictature militaire – avec le slogan : « L’armée d’abord » – et en se livrant avec les États-Unis à un véritable bras de fer nucléaire. L’auteur rappelle aussi comment Kim Jong-il a su instrumentaliser la politique d’ouverture, dite du « rayon de soleil », suivie à Séoul sous les présidents Kim Dae-jung et Roh Moo-hyun.
Enfin, la dernière partie de l’ouvrage (« La monarchie 2.0 »), titre judicieux après la récente cyberattaque contre Sony, est consacrée aux débuts de Kim Jong-un. L’auteur y confirme que la primauté de continuité (absolutisme, nationalisme, stratégie nucléaire) sur l’ouverture, et y souligne les tentatives de Pyongyang pour s’arracher à l’attraction de la Chine – Jang Song-taek, l’oncle de Kim Jong-un, aurait été éliminé du fait de sa proximité avec Pékin.
Pédagogue sans être scolaire, intéressant sans être accrocheur, La Dynastie rouge, qui ne fait pas la moindre concession envers un des régimes les plus inhumains de la planète, est donc à recommander. L’ouvrage en apprend sans doute bien plus qu’un voyage à Pyongyang.
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