Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (1/2015). Yannick Prost propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Jean-Marc Châtaigner, Fragilités et résilience. Les nouvelles frontières de la mondialisation (Paris, Karthala, 2014, 482 pages).
Le sous-titre indique une ambition qui dépasse le contenu de l’ouvrage, lequel porte en fait sur l’évolution de la réflexion concernant l’aide au développement. À l’origine, les limites de l’efficacité de cette aide ont suscité les travaux de think tanks anglo-saxons, dont les conclusions ne sont pas toujours partagées par les chercheurs et praticiens français. Les contributions à cet ouvrage dirigé par un haut fonctionnaire du Quai d’Orsay, connu pour ses travaux notamment sur les États fragiles, mêlent les regards d’auteurs du Nord et du Sud, afin d’éviter un point de vue ethnocentriste. Elles présentent de longs développements sur la pertinence et les limites du concept de résilience, pour lequel, parmi les nombreuses définitions citées, on choisira celle de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) : « la capacité des individus, des communautés, des États et de leurs institutions à absorber les chocs et à s’en remettre, tout en adaptant et en transformant de façon positive leurs structures et leurs moyens de subsistance face à des changements de long terme et à l’incertitude ».
Cette résilience s’analyse donc à plusieurs niveaux : elle caractérise les ménages ou les individus qui parviennent à reconstituer leurs « capabilités » – au sens d’Amartya Sen – après un événement traumatique. Elle peut s’étudier pour des groupes sociaux – voir le chapitre sur les nomades pasteurs – ou des territoires – un chapitre définit les conditions de la ville résiliente, qui saurait allier de saines politiques publiques sociales à un plan d’aménagement urbain et des pratiques de développement durable. Elle caractérise surtout les États. Si le nombre des guerres a diminué, la violence et les troubles sociaux demeurent importants. Pire, il semble que les accidents climatiques voient leur fréquence et leur intensité augmenter. Dès lors, il faut préparer ces entités à subir le choc et à rebondir par des politiques ex ante et ex post, qui dépassent la simple intervention d’urgence. C’est bien la conclusion principale qui se dégage des diverses contributions : il faut mieux coordonner l’action de développement à long terme et l’aide humanitaire. Cette mise en cohérence doit se décliner selon les différents secteurs de l’action publique, et viser à maintenir les capacités des individus et des États.
Les crises alimentaires ont mis en exergue les carences des États concernés, mais aussi des interventions humanitaires traditionnelles. Les chapitres portant sur le Sahel et la Corne de l’Afrique montrent ainsi que les nouveaux dispositifs découlant du Linking Relief, Reconstruction and Development – démarche adoptée par la Commission européenne –, ou du « redressement rapide » – prôné par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) – ont eu des effets positifs : l’Alliance globale pour l’Initiative résilience au Sahel (AGIR), l’Initiative sur les moyens de subsistance pastoraux, ou encore le Programme de filet de sécurité productif (Éthiopie), etc.
Il demeure que le succès de ces programmes dépend des équilibres locaux : le chapitre sur la Colombie rappelle que la sortie d’un conflit exige que soit traitée la question de fond : celle de l’injustice sociale. Plus généralement, l’exigence de résilience entraîne un impératif de bonne gouvernance effective, qui exige davantage que les simples apparences de démocratie mises en place dans certains États. Une problématique classique de l’aide au développement, en quelque sorte.
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