Cette recension d’ouvrages est issue de Politique étrangère (1/2015). Alain Antil propose une analyse de l’ouvrage de Lemine Ould M. Salem , Le Ben Laden du Sahara. Sur les traces du jihadiste Mokthar Belmokthar (Paris, Éditions de La Martinière, 2014, 208 pages).
Parmi les différents ouvrages parus ces dernières années sur le terrorisme dans la zone saharo-sahélienne, le livre de Lemine Ould M. Salem est particulièrement stimulant. L’auteur, qui couvre cette zone depuis des années pour plusieurs journaux européens, a été l’un des rares journalistes à s’être rendu dans le nord du Mali en 2012, alors que la région échappait à l’autorité de Bamako et que ses principales villes étaient administrées par trois mouvements islamistes : Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) et Ansar Dine.
Mokthar Belmokthar, alias Khaled Abou Al-Abbas, alias Laouar (« Le borgne ») est un Algérien né à Ghardaïa en 1972 ; il part très jeune combattre en Afghanistan et s’engage, à son retour, comme des centaines d’autres « Afghans », dans l’islamisme violent. Membre du Groupe islamique armé (GIA) puis du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), il en devient l’un des cadres et participe à son internationalisation vers les pays du Sahel. Il est par la suite fondateur des Signataires par le sang, puis des Mourabitoune. L’ouvrage revient sur la ferveur salafiste de celui qui a souvent été décrit comme un terroriste devenu trafiquant – d’où son surnom de « Mister Marlboro ». Il est d’abord un combattant, avec plusieurs faits d’armes à son actif (attaque de la caserne de Lemgheity en Mauritanie en 2005, ou encore attaque d’In Amenas en janvier 2012), qui lui assurent un grand prestige dans la mouvance salafiste-jihadiste. Le livre confirme également que Belmokthar est l’un des principaux artisans de l’affiliation du GSPC à Al-Qaïda, et donc de la naissance d’AQMI, en janvier 2007.
Si la trame de l’ouvrage repose sur le parcours de Belmokthar, l’auteur dresse des portraits d’autres personnages clés du salafisme-jihadisme saharien, comme Younous Al-Mauritani et Abdelhamid Abou Zeid (AQMI), Hamada Ould Mohamed Kheirou (fondateur du MUJAO), Omar Ould Hamaha (AQMI, MUJAO, puis Mourabitoune) et oncle par alliance de Belmokthar. L’ouvrage comporte d’autres morceaux de bravoure. On signalera pêle-mêle : un récit saisissant de l’opération d’In Amenas, l’auteur étant aux premières loges car en liaison téléphonique avec certains des ravisseurs pendant l’action ; une mise en récit très éclairante de la relation entre la Mauritanie et le GSPC, et notamment de la fin de la moutaraka (pacte de non-agression) en 2005, marquée par l’attaque de Lemgheity ; le rôle des combattants mauritaniens dans AQMI, en particulier celui de Khadim Ould Semane, fondateur d’Ansar Allah Al-Mourabitoune Fi Bilad As-Shinguitt, qui rejoint le GSPC et est impliqué dans les premiers actes violents en Mauritanie.
Ould M. Salem présente un ouvrage basé sur des sources de première main, dont de nombreux entretiens, notamment avec certains salafistes-jihadistes qu’il a pu suivre des mois ou des années, comme le gendre mauritanien de Belmokthar. Le fait que le journaliste ait pu enquêter à Tombouctou et Gao pendant l’occupation de ces deux villes par les islamistes donne évidemment un grand relief à son livre.
On regrettera cependant l’absence de références et d’explications sur la méthode de recoupement et d’arbitrage entre les différents entretiens que l’auteur a eu à traiter : on ne sait ainsi jamais si les faits que rapporte tel protagoniste ont été, ou non, confirmés. Et lorsque des récits n’étaient pas convergents, comment l’auteur a-t-il tranché ? Quand il relaie les affirmations d’un islamiste algérien qui lui explique le soutien actif du Maroc au GIA et lui parle d’une rencontre avec Driss Basri et le roi du Maroc dans une villa de Rabat, on reste dubitatif…
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