Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n°4/2016). François Thuillier propose une analyse de l’ouvrage de Jenny Raflik, Terrorisme et mondialisation. Approches historiques  (Gallimard, 2016, 416  pages).

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L’analyse du phénomène terroriste souffre de nombreuses lacunes. Parmi elles, une certaine forme de paresse intellectuelle qui consiste à limiter sa pensée à la visée de son regard. Là où les politistes l’imaginent en complot ou en stratégie, les sociologues y voient le produit de rapports de force collectifs, et les psychologues de trajectoires individuelles disloquées. Les orientalistes essentialisent autour des marges honteuses d’une religion, et tous, finalement, abandonnent les praticiens de la lutte antiterroriste aux thèses souvent les plus bruyantes et les plus simplificatrices. Les anthropologues se taisent encore (s’agissant pourtant d’une violence archaïque, d’une loi du sang clanique). Mais ce n’est plus le cas des historiens, et ils sont les bienvenus tant la mise en perspective d’un événement aide à sa compréhension.

Ne nous ont-ils d’ailleurs pas déjà appris que le premier acte terroriste remontait à la mise en scène de l’assassinat de Cicéron par les hommes de main d’Antoine, ou encore que la première guerre contre le terrorisme fut menée par Pompée le Grand qui, après l’attaque du port d’Ostie par des pirates, se lança dans une campagne militaire pour installer ses comptoirs sur le pourtour méditerranéen et assurer sa carrière politique ? Mais Jenny Raflik fait preuve ici de moins d’audace, prenant par exemple la mondialisation comme une donnée de nature des relations internationales, oubliant ses ressorts politiques, et faisant de même pour la coopération antiterroriste.

Nous sommes pourtant en présence d’un ouvrage ambitieux, alerte, documenté et pédagogique. Il apportera au néophyte une somme ordonnée et sérieuse de connaissances, mais au spécialiste un cas d’école des contraintes académiques qui pèsent sur un tel sujet. Faute d’avoir pertinemment défini celui-ci, d’avoir suffisamment diversifié ses sources (la surreprésentation de notes déclassifiées de la NSA laisse perplexe), et de s’être assez projeté dans le passé – alors que c’est justement les rares fois où il se lance en deçà du xxe siècle qu’il s’avère le plus convaincant –, l’auteur réduit son travail à l’étude du terrorisme anti-occidental depuis une trentaine d’années au travers des yeux américains… D’où d’inévitables raccourcis et stéréotypes.

Alors, certes, l’auteur pose les bonnes questions – pourquoi parle-t-on de terrorisme « global » depuis le 11 septembre 2001 ? – mais sans y voir autre chose qu’une concomitance. Certes, on souligne les difficultés à saisir le profil des terroristes, mais sans renoncer pour autant à leur caractérisation. Et puis, sur un tel sujet, peut-on réellement expédier en 13 pages (sur près de 400) l’influence des médias sur le phénomène terroriste, pourtant constitutive ? Enfin, ce travail a malheureusement été rédigé avant l’acmé de Daech, qui offre aujourd’hui en creux à l’Occident sa face la plus primitive, son masque le plus terrifiant.

Reste que cet ouvrage est parsemé de ces mille petits événements historiques qui viennent encore parfois éclairer notre actualité. Comme le vote de cet Anarchist Exclusion Act de 1903, adopté aux États-Unis après le meurtre du président McKinley afin d’empêcher l’immigration anarchiste, alors que l’assassin était simplement né à Détroit de parents immigrés polonais.

François Thuillier

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