Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n°4/2016). Hans Stark, secrétaire général du Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) à l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage d’Ulrich Menzel, Die Ordnung der Welt (Suhrkamp Verlag, 2015, 1232 pages).
L’ouvrage d’Ulrich Menzel (« L’Ordre du monde ») propose une analyse magistrale consacrée à l’architecture de sécurité politique et économique du monde du Moyen Âge à nos jours. Politologue et professeur des universités à Brunswick, l’auteur tente de montrer quels facteurs permettent de structurer l’ordre international dans un monde anarchique dépourvu de structure de pouvoir à l’échelle planétaire. Pour Menzel, l’ordre réside dans l’anarchie et repose sur l’interaction entre les puissances et les empires qui ont politiquement et économiquement dominé le monde à un moment donné. Pour le démontrer, il analyse sur une période de plus de mille ans les structures hiérarchiques, hégémoniques et impérialistes qui ont successivement émergé et contribué à la naissance d’un ordre à la fois régional et mondial.
Les choix effectués par l’auteur peuvent paraître arbitraires, l’analyse étant limitée à :
- – L’empire de la dynastie Song (960-1204)
- – L’expansion mongole (1230-1350)
- – La domination des républiques de Gênes (1261-1350) et de Venise (1381-1503)
- – La dynastie Ming (1368-1435)
- – Le temps des découvertes et des conquêtes portugaises (1494-1580) et espagnoles (1515-1919 et 1648-1659)
- – L’empire ottoman (1453-1571)
- – L’expansion néerlandaise (1609-1713)
- – La France absolutiste (1635-1714)
- – L’empire britannique (1692-1919)
- – Les États-Unis, superpuissance bienveillante (1919-2035)
Il est intéressant de relever que, dans la liste des puissances hégémoniques analysées ne figurent ni l’Union soviétique, ni le Reich allemand ou l’Allemagne nazie. Pourtant, l’un et l’autre, et surtout l’URSS, ont dominé leurs espaces respectifs pendant des décennies. Certes, la quête allemande d’une hégémonie régionale, voire mondiale, fut plus brève que celle de l’URSS qui a exercé son hégémonie sur l’Europe de l’Est pendant un demi-siècle. Mais ce n’est pas la raison principale qui pousse l’auteur à faire l’impasse sur Moscou ou Berlin. L’argument, qui pour Menzel légitime le rôle hégémonique d’une puissance, est d’abord qu’elle s’inscrit dans un temps long – ce ne fut le cas ni du Reich allemand ni de la Russie soviétique –, et qu’elle contribue à la stabilisation de l’architecture mondiale en fournissant « des services » à l’humanité dans les domaines politique, économique, culturel ou scientifique. Cela n’interdit certes nullement le recours à la force ni l’usage de la force militaire à des fins politiques ; mais dans l’ensemble le bilan de chacune des puissances listées et analysées par l’auteur s’avère « globalement positif ».
[…]
Vu sous cet angle, le monde a connu une structure de domination hégémonique quasi ininterrompue depuis le xe siècle jusqu’à nos jours. Toutefois, pour Menzel, puissance n’égale pas toute-puissance. Les puissances qui s’appuient sur des empires, sur la force militaire pure, sur la conquête sans souci de stabilisation post-conflictuelle sont celles qui disparaissent le plus rapidement. Ce fut le cas des empires des Mongols, des Espagnols ou des Français. En revanche, les puissances, la plupart de temps maritimes par ailleurs, dont l’objectif n’a pas été d’établir un pouvoir impérialiste, mais plutôt une politique hégémonique plus ou moins tolérée par les partenaires, sont aussi celles dont l’action a pu s’inscrire dans la plus longue durée. Les exemples les plus évidents de ce point de vue sont ceux des républiques de Gênes et de Venise, de l’empire portugais et des Pays-Bas – quatre États ou Villes-États dont les ressources propres, à la fois démographiques et économiques, n’étaient pas naturellement destinées à l’expansion. Exceptions à la règle : la Grande-Bretagne et les États-Unis, dont la domination a reposé à la fois sur le soft power et sur le hard power, la première ayant constitué l’empire par excellence. L’affaire est déjà plus complexe pour les États-Unis, super-puissance démocratique qui a su, depuis 1945, livrer un bien public inestimable : la sécurité globale.
Ces quelques commentaires ne suffisent pas à rendre hommage aux plus de 1 200 pages d’un très grand livre d’histoire et de science politique. Superbement écrit et clair, cet ouvrage trouvera vite, espérons-le, un traducteur et un éditeur courageux en France.
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