Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n°4/2016). Émilie Frenkiel propose une analyse de l’ouvrage de Jean-Luc Domenach, Les fils de princes: une génération au pouvoir en Chine (Paris, Fayard, 2016, 272 pages).
Après Mao, sa cour, ses complots. Derrière les Murs rouges, (Fayard, 2012), Jean-Luc Domenach reprend son travail minutieux d’exploitation des mémoires et biographies de dirigeants communistes et de leur entourage pour donner cette fois « une place centrale aux enfants de la caste ».
Les premiers chapitres divisent ces fils de prince en trois générations. « Les enfants de la révolution », nés dans les années 1920-1930 et considérablement marqués par les circonstances difficiles de leur enfance avant la victoire des communistes, sont globalement peu parvenus à grimper les échelons du pouvoir. « Les enfants de la caste », nés dans les années 1940 et élevés dans des conditions nettement plus privilégiées, ont joué un rôle dans « l’acclimatation à une forme de capitalisme ». La troisième génération, pourtant profondément marquée par la Révolution culturelle, est celle qui est parvenue à s’imposer au sommet du pouvoir.
Les chapitres suivants sont consacrés aux épreuves formidables qu’ils ont dû traverser : le Grand Bond en avant, le retour forcé d’URSS, les envois à la campagne et la découverte de la misère rurale, et surtout la Révolution culturelle. Le chapitre 6 présente les privilèges, les parachutages et la réinstallation de la caste au sortir de la Révolution culturelle. Les dénonciations des injustices et violences se multiplient alors sans que les fils de prince y prennent part cette fois, hormis Wei Jingsheng et la journaliste et militante démocratique Dai Qing, connue pour sa demande d’une « cinquième modernisation » : la démocratie.
L’ouvrage décrit bien l’accumulation d’atouts dont bénéficient les fils de prince, au point de devenir parmi les plus compétents pour gouverner un pays aussi complexe que la Chine : outre une connaissance hors pair des arcanes du pouvoir de par leurs relations familiales, ils ont beaucoup appris en tant que secrétaires (d’un haut dirigeant militaire, dans le cas de Xi Jinping), ou de parachutages plus ou moins réussis à des fonctions politiques, ou d’un accès privilégié aux études en Chine mais également à l’étranger, où ils sont les premiers à partir (et à apprendre les méthodes capitalistes et le commerce international), sans compter leurs précieux réseaux, parfois dédoublés par un beau mariage.
Sur le plan économique, ils sont merveilleusement bien placés pour s’imposer. Les familles se partagent entre activités publiques et privées, ce qui facilite la corruption à laquelle assiste au Fujian le futur président chinois et qui lui inspire sa campagne de rectification. « Cette mécanique transgressive va transformer partiellement la caste issue de l’histoire maoïste en une couche sociale composée de candidats potentiels à la richesse et au pouvoir politique car capables de manœuvrer la combinaison centrale entre un pouvoir qui se dit communiste et des entreprises qui se disent capitalistes. » De plus, une fois écartées, avec la répression de 1989, tentation et possibilité d’un virage démocratique, Pékin gagne la confiance nécessaire pour développer son propre capitalisme « à la fois acceptable pour le pouvoir et crédible pour le peuple ». Forts de leur unité dans leur diversité, qui leur confère souplesse et capacité d’adaptation, les fils de prince profitent de la modernisation et de la mondialisation pour s’enrichir tout en sauvant le régime.
Cet ouvrage, outre son intérêt historique et documentaire, offre ainsi toutes les clés pour comprendre l’ascension implacable des fils de prince, dotés d’une « double aptitude à s’adapter au monde d’aujourd’hui tout en restant fidèles à leur pays et à leur parti ».
Émilie Frenkiel
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