Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n°4/2016). Norbert Gaillard propose une analyse de l’ouvrage de Joshua Kurlantzick, State Capitalism – How the Return of Statism Is Transforming the World (Oxford University Press, 2016, 296 pages).
Joshua Kurlantzick, connu pour ses travaux sur le soft power chinois, étudie l’influence grandissante du capitalisme d’État depuis deux décennies. Définissant celui-ci comme toute économie dans laquelle au moins un tiers des 500 plus grosses entreprises nationales sont contrôlées directement ou indirectement par l’État, l’auteur précise d’emblée que plusieurs capitalismes d’État coexistent dans le monde. Les moins efficaces sont généralement les plus autocratiques (Algérie, Arabie Saoudite, Égypte, Iran, Ouzbékistan, Russie et Venezuela), en raison de leur incapacité chronique à innover et du comportement prédateur des élites politiques.
De nombreuses raisons expliqueraient la résurgence du capitalisme d’État : la multiplication des « autocrates élus » (sur le modèle de Thaksin Shinawatra en Thaïlande) ; l’autopromotion lancée par des États (la Chine et Singapour) qui pouvaient – et peuvent toujours – mettre en exergue leur insolente réussite économique ; la crise du capitalisme de marché de 2007-2008, et les renflouements massifs décidés par les gouvernements occidentaux ; l’essor des fonds souverains dans les pays émergents ; enfin le sentiment de plus en plus répandu que l’interventionnisme est indispensable pour constituer des géants mondiaux et ainsi réaliser des économies d’échelle.
Quoique fasciné par la réussite du « modèle chinois », Kurlantzick n’en considère pas moins que le capitalisme d’État présente plusieurs limites. Il tend à saper les valeurs démocratiques et l’état de droit, comme en Thaïlande, en Argentine et en Afrique du Sud. Ensuite, il est voué à l’essoufflement s’il s’avère incapable d’innover, d’améliorer le système éducatif et d’éliminer progressivement le népotisme. À cet égard, la Malaisie est tout particulièrement critiquée. L’auteur déplore aussi que l’étatisme puisse servir de contre-modèle à l’économie de marché. Deux systèmes semblent suffisamment efficaces et légitimes pour inspirer des pays émergents et en développement : le capitalisme chinois et le capitalisme singapourien. Le premier a une base éminemment politique et souverainiste. Le second a la particularité de s’intégrer pleinement dans la globalisation financière actuelle grâce à son excellent environnement des affaires, ses dépenses élevées en recherche et développement et la profitabilité impressionnante de son fonds souverain Temasek. Mais le danger principal du capitalisme d’État serait que les entreprises publiques soient utilisées comme armes de guerre économique, voire de guerre tout court, afin de voler des propriétés intellectuelles et des technologies. Kurlantzick s’alarme par exemple de l’influence des groupes russes et chinois, et de leurs connexions avec le pouvoir militaire. L’expansionnisme économique de Pékin créerait encore d’autres menaces, en soutenant des dictatures et en violant les normes sociales et environnementales.
La conclusion comprend plusieurs recommandations. Les firmes multinationales occidentales devraient se rapprocher des entreprises privées des pays promouvant un capitalisme d’État afin de contenir les ambitions des entreprises publiques. Américains et Européens auraient également intérêt à renforcer la démocratie dans les États où elle est menacée (Thaïlande, Malaisie, Afrique du Sud, Ukraine, Venezuela, Birmanie, Argentine et Égypte), et à sanctionner sévèrement les comportements délinquants des grandes sociétés d’État étrangères. On ne peut qu’approuver ces conseils, tout en regrettant que les gouvernements occidentaux avancent en la matière en ordre dispersé.
Norbert Gaillard
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