Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n°4/2016). Rémy Hémez, chercheur au Laboratoire de recherche sur la défense (LRD) à l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage d’Adam Baczko, Gilles Dorronsoro et Arthur Quesnay, Syrie. Anatomie d’une guerre civile (CNRS Éditions, 2016, 416 pages).
Ce livre, co-écrit par Gilles Dorronsoro, professeur à l’université Paris 1, et deux doctorants, Arthur Quesnay et Adam Baczko, étudie en profondeur de la guerre civile syrienne. Les auteurs ont réalisé 250 entretiens, pour une bonne partie en Syrie, entre décembre 2012 et janvier 2013, et en août 2013, à une époque où il était encore possible d’accéder à la zone de guerre. Ils distinguent trois étapes dans la révolution syrienne.
La première, en 2011, est une phase de contestation politique essentiellement pacifique. Une telle contestation paraissait improbable pour la plupart des spécialistes, mais le fait même qu’elle ait existé permet de comprendre a posteriori les faiblesses du régime, à savoir son absence de base sociale et son manque de maîtrise des effets politiques du néolibéralisme. Les auteurs mettent également en avant l’influence des printemps arabes, mais aussi les « processus de délibération dans les sphères semi-privées » pour expliquer l’émergence des manifestations. Pour autant, le régime de Bachar Al-Assad ne tombe pas. Les protestataires n’ont pas bénéficié de relais institutionnels, et l’armée syrienne n’a pas joué le rôle de ses homologues tunisienne ou égyptienne. La violence croissante de la répression a, par contre, poussé à la militarisation de la lutte.
Débute alors une phase « d’insurrection unanimiste » (2012-2013), avec un phénomène remarquable par rapport à d’autres guerres civiles : l’absence de territorialisation des groupes armés. L’extension rapide des zones contrôlées par l’insurrection se clôt à l’été 2012, au moment où, pourtant, la guerre semblait perdue pour le régime. Ce dernier a pourtant pu regrouper assez ses forces pour résister et empêcher l’insurrection de prendre les bastions de l’armée.
La prolongation des combats produit notamment l’éclatement et la radicalisation de l’insurrection après 2013. Les auteurs soulignent bien que cette phase est d’abord le reflet de « logiques exogènes », incarnées à la fois par l’intervention de puissances étrangères et par l’implication de deux mouvements transnationaux : Daech et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Ces groupes – qui font l’objet de deux chapitres passionnants – combattent pour la conquête de territoires et l’imposition de modèles politiques radicalement différents.
Les auteurs ne bornent pas leur étude aux combats, à la lutte contre le terrorisme ou aux problématiques humanitaires qui mobilisent la plupart des analystes. Ils s’intéressent à des questions aussi variées que l’administration de la révolution, la mobilisation hors de Syrie, les différents usages de l’islam ou les problématiques économiques.
Clair et bien écrit, cet ouvrage est une référence essentielle pour tous ceux qui s’intéressent au conflit syrien. On regrettera seulement que les informations sur la période post-2013 soient plus parcellaires que celles qui concernent la période 2011-2013. On attend avec impatience les autres travaux de cette équipe, puisque ce livre constitue la première pierre d’un projet d’étude plus large sur les guerres civiles contemporaines.
Rémy Hémez
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