Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2017). Thibault Boutherin propose une analyse de l’ouvrage de Christopher Bennett, Bosnia’s Paralysed Peace (Hurst, 2016, 392 pages).

Bosnia Paralysed Peace

L’ouvrage de Christopher Bennett n’est ni un énième constat fataliste sur la situation de blocage politique et économique du pays, ni un nouvel essai polémique à bon compte comme il en paraît trop souvent. Ce travail est non seulement minutieux, fin et éprouvé, résultat d’une approche critique aiguë et étayée, – en effet l’auteur connaît très bien le pays, notamment pour y avoir officié pour l’International Crisis Group puis comme Haut représentant adjoint en charge de la communication – mais il se double d’un second volet audacieux, sinon risqué, et d’autant plus appréciable : il avance des propositions pratiques.

Sur le constat, difficile d’être novateur. L’auteur s’en tient aux faits, qu’il s’applique à remettre dans la perspective du passif politique du pays, en évitant tout travers déterministe. Le panorama est morose et, en l’état, inquiétant. Toutefois, l’acuité de l’analyse est appréciable et aide le lecteur à saisir l’ampleur des défis, ainsi que la dimension inextricable des paradoxes multiples qui président au fonctionnement de l’État bosnien – si tant est qu’il y en ait un – dans l’ère post-Dayton et avec un constat essentiel : la Bosnie n’est plus en guerre mais elle n’est pas en paix pour autant.

Tout chercheur s’étant penché sur le cas de la Bosnie-Herzégovine l’aura cruellement expérimenté : rien dans ce cas d’étude n’est anodin ou neutre, tout est sujet à caution et prête à interprétation. La tâche était d’autant plus ardue pour Christopher Bennett que ses fonctions passées l’ont amené à intervenir directement dans les situations qu’il propose d’analyser. Pourtant, le lecteur reconnaîtra que le travail critique ne cède pas au plaidoyer pro domo. S’il y a des signes épars d’une volonté d’expliquer, voire de défendre, l’action du Haut représentant, l’auteur fait montre d’un désir d’objectivité qui tient pourtant de la gageure, tant les enjeux sont sensibles et les intérêts entremêlés. Christopher Bennett ne revendique pas une neutralité infaillible, mais il propose une grille de lecture qu’il estime équilibrée, et qu’il met à profit pour en tirer des conclusions et nourrir le débat.

Là réside donc l’autre valeur ajoutée de cet ouvrage : il dépasse la seule sphère académique avec des propositions non consensuelles qui aspirent à une transformation durable et, de l’aveu de beaucoup, souhaitable pour le fonctionnement constitutionnel et politique de la Bosnie-Herzégovine. Christopher Bennett invite à une approche enfin volontariste et pragmatique de la part de l’ensemble des acteurs qui ont façonné, mis en place puis perpétué la Bosnie de Dayton, leur enjoignant d’acter le dépassement d’un modèle qui n’avait pas vocation à durer. Comme il le rappelle, il y va de la stabilité d’une région au potentiel explosif que l’Europe a déjà éprouvé, et où les intérêts russes, européens et américains risquent encore de se heurter. Le changement doit être radical et passe par la fin des vœux pieux, des doubles jeux et une meilleure connaissance de la Bosnie. Cet ouvrage devrait largement y contribuer, pour tout lecteur aspirant à une vision large, complète et plutôt équilibrée d’une paix paralysée.

Thibault Boutherin

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