Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2017). Dhafer Saidane propose une analyse de l’ouvrage de Yassine Essid, La face cachée de l’islamisation. La banque islamique (Éditions de l’Aube, 2016, 176 pages).
Laurent Weill, fondateur et responsable scientifique de l’Executive MBA « Finance islamique » à l’université de Strasbourg, classe les individus qui s’intéressent à la finance islamique selon la règle des « 3 C » : les curieux, les croyants et les cupides.
Le livre de Yassine Essid évacue de son champ d’analyse les deux premières catégories pour se focaliser principalement sur la dernière : les « imposteurs ». Ce ne sont donc pas les chercheurs « curieux » de comprendre ni les « croyants » à la recherche d’un sens qu’il incrimine, mais plutôt certains « économistes […] qui ne cessent de colporter des idées fausses qui contribuent puissamment à une imposture […] ».
Sous le titre de l’ouvrage, c’est donc une analyse critique de la finance islamique qui se cache puisque deux chapitres sur les cinq que compte l’ouvrage sont consacrés directement à la notion de riba (intérêt et usure), notion déjà condamnée par Aristote dans l’Éthique à Nicomaque. Ce dernier précise : « L’intérêt est de l’argent issu d’argent, et c’est de toutes les acquisitions celle qui est la plus contraire à la nature. » Or la finance islamique est définie par la charia, loi canonique musulmane régissant la vie religieuse, politique, sociale et individuelle. Ses préceptes interdisent de recevoir et de verser un intérêt, car le débiteur supporterait seul la totalité du risque associé à un projet d’investissement. La charia interdit également les transactions déconnectées de l’économie réelle et menées à des fins purement spéculatives. Toute transaction financière doit donc être adossée à un actif tangible. La charia prohibe l’investissement dans des activités non éthiques ou considérées comme haram, c’est-à-dire illicites. Il en résulte que la finance islamique vise à servir avant tout les hommes, acteurs et parties prenantes d’une économie réelle tangible, à travers des contrats dont la règle est le partage des profits et des pertes.
Est-ce cette finance islamique que dénonce Yassine Essid ? Celle que le prophète Mohamed a développée entre 571 et 632 de l’ère chrétienne ? Visiblement, ce n’est pas celle-ci qu’il condamne, ni celle des Khoulafa (632 à 1923), qui s’apparente davantage à une finance publique avec la gestion de Beit El Mal (Trésor public). Non. C’est plutôt celle qui naît avec le boom pétrolier des années 1970 et qui n’est autre que la copie presque conforme de la finance conventionnelle à l’origine de la crise de 2008. Ce que condamne l’auteur, c’est cette finance pseudo-musulmane animée par des charia board, en conflit d’intérêts total avec les institutions financières qu’ils servent, et dont la crédibilité est proportionnelle au pourcentage du chiffre d’affaires qu’ils traitent. C’est en effet cette troisième forme de finance islamique qui est discutable, d’autant qu’elle autorise dans la composition des indices islamiques Dow Jones, FTSE ou S&P, négociés sur les places financières internationales, un niveau de revenu illicite secondaire de 5 % au maximum par rapport au revenu total ! Comment peut-on admettre une telle dérive ? Comment peut-on faire du halal (licite) avec du haram (illicite) ?
Le mérite du livre de Yassine Essid est de pointer du doigt cette regrettable dérive d’un champ qui se veut proche de l’investissement socialement responsable. Mais la cupidité de certains hommes en a décidé autrement.
Dhafer Saidane
Pour vous abonner à Politique étrangère, cliquez ici.
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.