Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2017). Marc Hecker, chercheur au Centre des études de sécurité à l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de David Thomson, Les Revenants (Seuil, 2016, 304 pages).
David Thomson, journaliste à Radio France internationale (RFI), a commencé à s’intéresser au djihadisme au moment des révolutions arabes de 2011. Correspondant en Tunisie, il a vu émerger le mouvement Ansar Al-Charia, et a réalisé dès 2012 un reportage sur les Tunisiens partis combattre en Syrie. De retour en France, il a poursuivi son travail sur les filières syriennes. En 2014, il a signé un premier livre remarqué, Les Français jihadistes[1] (Les Arènes, 2014). Depuis lors, il continue à suivre la mouvance djihadiste de près, en réalisant un travail de veille quotidien sur les réseaux sociaux et en entretenant des contacts réguliers avec des partisans de l’État islamique (EI) ou d’Al-Qaïda.
Pour son deuxième opus, David Thomson s’intéresse plus spécifiquement aux Français qui sont revenus de Syrie. Il a échangé avec une vingtaine d’entre eux, et décrit plus précisément le profil d’une dizaine de « revenants ». Cet échantillon ne représente qu’une faible proportion des quelque 250 résidents français rentrés de la zone syro-irakienne, et ne permet pas de dégager des statistiques fiables. Il n’en demeure pas moins que la galerie de portraits peints par le journaliste est saisissante, et que le livre fourmille d’anecdotes éclairant le phénomène du djihadisme d’un jour nouveau. Trois points peuvent plus spécifiquement être mis en avant.
Tout d’abord, l’ouvrage confirme que les ressorts de la radicalisation sont complexes. Dans certains cas, l’idéologie paraît jouer un rôle important, dans d’autres les dynamiques de radicalisation semblent être davantage économiques, sociales ou psychologiques. En d’autres termes, l’enquête de Thomson montre que les thèses d’Olivier Roy (« islamisation de la radicalité ») et de Gilles Kepel (« radicalisation de l’islam ») sont davantage complémentaires que contradictoires.
Ensuite, l’auteur avance que les jeunes issus de l’immigration maghrébine représentent une majorité des djihadistes français. Ces derniers évoquent régulièrement leur sentiment de déclassement et de marginalisation. Ils ont beau être nés trois ou quatre décennies après la fin de la guerre d’Algérie, ils continuent à y faire référence, et à nourrir un fort ressentiment à l’égard de l’État français. Ils voient dans la restauration du califat une forme de revanche, et une possibilité de restaurer leur dignité. Des ingénieurs, des informaticiens, des médecins, de brillants étudiants ont certes quitté la France pour la Syrie, mais ils ne représentent qu’une minorité. Ainsi Thomson va-t-il jusqu’à décrire les Français comme des « cas soc’ du jihad », montrant la manière dont ils ont exporté leur culture de cité vers la Syrie.
Enfin, les témoignages recueillis par David Thomson ne suscitent guère l’optimisme. Si les « revenants » sont volontiers critiques à l’égard de l’EI, la majorité d’entre eux n’est pas pour autant « déradicalisée ». La plupart continuent à s’opposer à la France, à la démocratie et à la laïcité. Le rejet combiné de Daech et de la France peut d’ailleurs conduire certains à se réfugier dans le salafisme quiétiste. D’autres – dont des jeunes femmes – envisagent plutôt de se tourner vers des formes plus individuelles de djihadisme et rêvent d’attentats. En somme, les revenants n’ont pas fini de nous hanter.
Marc Hecker
[1]. Cet ouvrage a fait l’objet d’une recension dans le n° 2/2014 de Politique étrangère.
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