Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2017). Pierre Jacquemot propose une analyse de l’ouvrage de Philippe Hugon, Afriques. Entre puissance et vulnérabilité (Armand Colin, 2016, 272 pages).

Afriques_puissance vulnérabilité

Côté pile, l’Afrique est devenue le continent de la croissance, des nouvelles opportunités associées à de formidables ressources, la « nouvelle frontière » des investisseurs internationaux, le territoire des biens publics environnementaux mondiaux à préserver à tout prix. Côté face, elle reste le continent des épidémies, de la malnutrition, de l’insécurité, des trafics, des régimes corrompus et des désastres climatiques à venir.

Philippe Hugon prend le parti d’aller au-delà de ces représentations simplificatrices pour saisir la complexité africaine et repérer les trajectoires nécessaires face aux défis – démographique, écologique, épidémiologique, politique – d’une transformation structurelle. L’auteur a toutes les références nécessaires, puisque depuis 50 ans il étudie le continent avec passion, et exerce son magistère sur des générations d’étudiants et de chercheurs.

Toutes les questions de son dernier livre sont salutaires. L’une en particulier : une Afrique ou des Afriques ? Penser la pluralité des Afriques, en s’affranchissant des schémas préconçus, est une nécessité. Il faut éviter de réduire les peuples à une identité et à un territoire homogènes. Philippe Hugon dénonce les raccourcis qui voient les uns comme des urbains, les autres comme des ruraux ; certains Africains seraient intégrés dans la mondialisation, d’autres non ; d’aucuns relèveraient du formel, d’autres de l’informel, etc. Dans les faits, de telles dichotomies se font l’écho de situations, sinon inexactes du moins anciennes, et de démarches que certaines recherches peinent à dépasser. Rien n’empêche un citadin de garder un fort attachement à son terroir d’origine. Les trajectoires migratoires peuvent pousser un même individu à la mobilité dans sa région, dans le pays voisin, à l’autre bout du continent, en Europe ou en Amérique, puis le conduire à retourner au pays. L’hybridation des situations est partout et dans tous les domaines la règle.

Ce regard neuf n’empêche pas de noter la réapparition de thématiques que l’on croyait démodées. Comme celle de la prégnance des cultures et du poids de la tradition. Comme celle des modalités variées d’insertion dans la mondialisation, entre dépendances et coopération. Comme celles qui touchent à l’environnement : eau, biodiversité, forêt… Comme celle, enfin – autre serpent de mer – de l’intégration régionale pour remédier aux faiblesses structurelles qui accentuent les vulnérabilités économiques.

Prospectiviste éminent, l’auteur tente d’identifier des scénarios d’avenir. Il en propose cinq, avec le sens de la formule : du « largage » aux « nouveaux arrimages », en passant par le « rattrapage», le « recentrage » et les « décalages ». Le meilleur des scénarios – celui du recentrage – ne pourrait se concrétiser que si les États en cause atteignaient une certaine maturité politique et démocratique, pour l’heure réservée à un nombre encore réduit de pays africains. Au-delà des cheminements possibles, Philippe Hugon montre que la méthode qu’adopteront les Africains, aiguillonnés par l’esprit de responsabilité, pour construire leur propre modernité, pour s’adapter aux mutations économiques et sociales et en tirer profit, les amènera très probablement à mobiliser leur intelligence collective. La formule finale est belle : « Il n’y a pas de sens de l’Histoire, mais des histoires auxquelles les hommes donnent sens. »

Pierre Jacquemot

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