Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2017). Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage de Christophe Niquille, Pour une hybridation des armées (Nuvis, 2016, 144 pages).
L’hybridité est un concept à la mode dans les études de sécurité pour qualifier certains des adversaires auxquels font face les armées occidentales, et qui utilisent une combinaison de capacités conventionnelles avancées et de tactiques non linéaires. Ces adversaires peuvent être non étatiques (Daech, Hezbollah) ou étatiques (Russie). Dans Pour une hybridation des armées, Christophe Niquille, auteur suisse qui mène en parallèle à sa vie civile une carrière dans la milice comme officier d’état-major, adopte un point de vue original, en se plaçant non pas du côté de nos adversaires mais de nos propres armées, et en se faisant l’avocat d’armées occidentales hybrides.
Dans son introduction, il commence par renverser la problématique des contraintes financières, en estimant que ce ne sont pas elles mais bien « la conservation de stratégies opérationnelles qui ne sont plus en adéquation avec les réalités budgétaires » qui place notre modèle d’armées actuel dans une impasse. Ce modèle, qualifié de « capacitaire et technologique », a en effet montré ses limites. La Révolution dans les affaires militaires (RMA) qui s’inscrit dans « une vision scientifico-rationnelle de la stratégie » provoque des dépenses sans fin pour une efficacité marginale de plus en plus réduite.
L’auteur revient ensuite sur la guerre d’Israël contre le Hezbollah de 2006 pour illustrer ces limites. Les erreurs israéliennes lors de ce conflit sont désormais bien connues : accent mis sur la puissance de feu au détriment de la manœuvre, mise en avant de l’aviation et désintérêt pour l’action terrestre, chefs militaires restés à l’arrière derrière leurs écrans, etc. Après l’échec de 2006, Tsahal a pourtant cherché à redynamiser son modèle capacitaire et technologique, plutôt que de le remettre en cause.
Christophe Niquille défend un « modèle d’organisation et de combat des forces armées qui prône l’emploi simultanément et de façon adaptative d’un mixte de technologies plus ou moins avancées et de modes de guerre irréguliers, tout en n’excluant pas totalement des modes de guerre réguliers, dans l’espace de la bataille afin d’atteindre des objectifs politiques ». L’auteur rappelle justement que des modèles de ce type ont été théorisés au cours des années 1970-1980, comme dans l’Essai sur la non-bataille de Guy Brossollet.
Ce modèle hybride présenterait des avantages, entre autres : ne plus être dépendant de la haute technologie et de son coût disproportionné, redonner la priorité à l’intelligence humaine, ou encore éviter de mettre l’accent sur une vaine accélération de la manœuvre puisque les capacités cognitives du chef militaire ne sont pas infinies. Dans un dernier chapitre, l’auteur énumère les obstacles qui ne manqueraient pas de se dresser face à un projet d’adoption d’une armée hybride, comme le conservatisme culturel ou les freins économiques.
Christophe Niquille développe dans cet ouvrage une intéressante réflexion sur le concept d’hybridation des armées occidentales, ainsi que sur les avantages et les difficultés à mettre en œuvre ce type de réforme. Le lecteur reste cependant largement sur sa faim, puisque, au-delà de quelques vagues pistes, ce modèle n’est pas présenté dans les détails. Quelles structures de forces pour une armée hybride ? Quels équipements ? Quel budget ? Quelles conséquences pour la politique de défense ? Autant de questions qui restent en suspens.
Rémy Hémez
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