Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2017). Estelle Zufferey propose une analyse de l’ouvrage de William Andrews, Dissenting Japan: A History of Japanese Radicalism and Counterculture from 1945 to Fukushima (Hurst, 2016, 356 pages).
« Le clou qui dépasse sera enfoncé. » C’est ce célèbre proverbe japonais, souvent utilisé pour souligner le prétendu côté conformiste et conservateur de la société japonaise, que William Andrews, écrivain et traducteur établi à Tokyo, tente de remettre en question, en présentant un historique des mouvements dissidents au Japon depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’au lendemain de la triple catastrophe du 11 mars 2011.
L’auteur, à travers une série de chapitres précis et documentés, revient sur la formation et la disparition souvent douloureuse de différents mouvements radicaux d’extrême gauche et d’extrême droite qui ont marqué l’après-guerre japonais, et qui frappent par leur complexité et leur violence. Il évoque ainsi la rage des associations étudiantes lors des manifestations ANPO des années 1960 contre le traité de coopération très contesté entre les États-Unis et le Japon, les dérives sectaires de l’Armée rouge unifiée (Rengô Sekigun) qui a traumatisé le Japon par ses excès autodestructeurs, ou encore les attentats terroristes et détournements d’avion coordonnés par l’Armée rouge japonaise (Nihon Sekigun) dans les années 1970.
L’auteur s’attarde également sur des mouvements plus mineurs et rarement étudiés dans la littérature occidentale, tel le Front armé antijaponais d’Asie de l’Est, à l’origine de plusieurs attentats contre des grandes corporations japonaises, qu’il accusait de soutenir l’impérialisme et le colonialisme japonais ; ou des groupes plus communautaires comme celui de la Yamagishi-kai, qui prônait une vie sans argent et sans hiérarchie où tous travailleraient pour tous, et qui fut dans les années 1970 accusée de tendances sectaires et d’avoir aussi pratiqué le lavage de cerveau.
Cet ouvrage est particulièrement pertinent pour comprendre le contexte post-Fukushima, qui a vu renaître des mouvements contestataires de plus en plus actifs, contre l’énergie nucléaire, mais aussi plus récemment contre la réinterprétation de l’article 9 de la Constitution. Même si ces groupes pacifistes évitent les dérives radicales de leurs prédécesseurs, ils sont volontiers associés aux manifestations étudiantes des années 1960-1970 qui avaient mobilisé la population.
Il est également intéressant de noter que, de même que les manifestations plus anciennes s’inscrivaient dans un mouvement de contestation plus global (comme les manifestations étudiantes en Corée du Sud ou en Hongrie des années 1960), les jeunes leaders japonais des mouvements étudiants des années 2014-2015 s’identifient volontiers à ceux du « mouvement des tournesols » à Taïwan, ou de la « révolution des parapluies » à Hong Kong au printemps et à l’automne 2014.
William Andrews mentionne également le silence obstiné des médias et le mépris des politiques à l’égard de ces mouvements, ainsi que leur répression sévère et systématique par le gouvernement, ce qui rend la formation de groupes de contestation extrêmement difficile. Les mouvements évoqués par l’auteur ont pour la plupart finalement échoué dans leurs objectifs, et été oubliés par la majorité de la population, quand ils n’ont pas été condamnés fermement, en particulier pour leur violence.
Dissenting Japan est un ouvrage très bien documenté et agréable à lire, qui intéressera les japonologues, et plus généralement toute personne attirée par la société japonaise contemporaine et les mouvements de protestation des nouvelles générations.
Estelle Zufferey
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