Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2017). Jérôme Marchand propose une analyse de l’ouvrage de James Cockayne, Hidden Power: The Strategic Logic of Organised Crime (Hurst, 2016, 448 pages).
Juriste de formation, James Cockayne travaille à l’ONU et s’intéresse aux stratégies d’influence des organisations criminelles. Prenant le contre-pied des observateurs qui sous-estiment les capacités conceptuelles et relationnelles des mafias, Hidden Power explore les logiques qui poussent ces entités à entrer en relations étroites avec les centres de décision politique, les structures partisanes, les appareils de force, à les associer à leurs opérations d’extraction, puis à en faire des outils de gouvernement à usages propres.
L’idée-force qui sous-tend ces développements est simple : au-delà de la quête du profit, le crime organisé vit par et pour le pouvoir. Si l’opportunité se présente, ses représentants sont parfois conduits à maximiser leurs rentes en s’appropriant une partie des ressources étatiques et en s’attribuant des fonctions de médiation. Mais sans assumer les obligations formelles qui pèsent sur les politiques et les fonctionnaires. Pour se maintenir, le pouvoir criminel doit rester un pouvoir caché. D’où ses affinités culturelles avec les réseaux de haute corruption et les organismes d’État à faible visibilité sociale mais fort tropisme de désinformation.
S’agissant de son architecture, Hidden Power obéit à un découpage ternaire. La première partie expose le cadre conceptuel de l’ouvrage. On y trouve un récapitulatif des travaux universitaires sur les relations du politique et du criminel, ainsi que sur les techniques de pouvoir préférentielles des mafias. La partie la plus stimulante de l’ouvrage est la deuxième. Elle expose différents modes d’articulation entre élites déviantes. Au programme : la machine new-yorkaise du Boss Tweed, les racines de la mafia et son implantation aux États-Unis, les conflits opposant les familles de Cosa Nostra avant et après la levée de la Prohibition, le système de gouvernance établi par Luciano, les alliances passées en Sicile avec les autorités d’occupation (AMGOT), les rapports avec les mouvances sécessionnistes siciliennes et les partis de gouvernement au temps de la guerre froide, la joint-venture cubaine, enfin les opérations de réimplantation menées dans les Caraïbes suite au fiasco de la baie des Cochons…
Chacun de ces épisodes a été abondamment traité dans la littérature spécialisée. Néanmoins, une rapide comparaison révèle l’originalité des aperçus sociologiques et économiques fournis par James Cockayne. Mention particulière, de ce point de vue, au chapitre 9, qui montre comment la mafia apprend de ses échecs stratégiques et s’applique le cas échéant à modifier son environnement. Pour finir, la troisième partie expose les stratégies de positionnement ouvertes aux organisations criminelles, selon qu’elles optent pour une logique d’arrangement, ou de confrontation, avec les instances politiques.
En résumé, Hidden Power est un ouvrage très fourni, appuyé par un appareil critique de haut niveau (plus de 120 pages de notes). Les portraits des leaders mafieux évitent le piège du manichéisme bureaucratique. Et l’ensemble ne peut qu’enrichir la compréhension des forces disruptives qui génèrent de nouvelles structures de gouvernement hybrides, intégrant les mouvances criminelles et/ou terroristes. À signaler, également, les mises en garde ciblant les croisades pseudo-démocratiques (Irak, Afghanistan, Libye) menées par des décideurs politico-militaires sans grande jugeote.
Jérôme Marchand
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