Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n°2/2017). Corinne Balleix, chargée de la politique européenne d’immigration et d’asile au ministère des Affaires étrangères et enseignante à Sciences Po Paris, propose une analyse croisée de l’ouvrage de Catherine Wihtol de Wenden, Migrations, une nouvelle donne (FMSH Éditions, 2016, 184 pages), et de l’ouvrage dirigé par Cris Beauchemin et Mathieu Ichou, Au-delà de la crise des migrants : décentrer le regard (Karthala, 2016, 200 pages).

Migrations, une nouvelle donne

Dans un contexte électoral propice aux surenchères populistes sur les questions migratoires, les ouvrages de la spécialiste française des migrations Catherine Wihtol de Wenden, et de chercheurs de l’Institut national d’études démographiques (INED), Cris Beauchemin et Mathieu Ichou, fournissent, par un décentrement du regard sur les chiffres, l’histoire et la géographie des migrations, des clés salutaires de compréhension de la « crise des migrants » actuelle.

Ces deux livres s’attaquent d’abord à certaines idées reçues sur les migrations. La première est celle de l’invasion. Or, les 244 millions de migrants actuellement recensés dans le monde ne représentent que 3,5 % de la population mondiale, contre 5 % au début du xxe siècle. Les immigrants représentent en 2015 les trois quarts de la population au Koweït ou au Qatar, 15 % en Australie, 10 % en Amérique du Nord et dans l’Union européenne, et 12 % en France. Que les Français évaluent à 30 % la part des migrants dans la population témoigne donc d’une formidable distorsion. Plus de la moitié des migrants en Europe sont des Européens (52 % en 2015), 27 % sont africains, 20 % sont asiatiques. S’agissant des réfugiés, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) estimait qu’en 2014 l’Union européenne accueillait 11 % des 13,7 millions de réfugiés, chiffres inférieurs à ceux de l’année 2000, où l’Europe accueillait 22 % des réfugiés de la planète, le nombre maximum (18 millions) ayant été atteint en 1992. Parallèlement, l’Europe détient en 2016 un triste record, les trois quarts des disparitions de migrants étant intervenues en Méditerranée.

Les chercheurs de l’INED montrent en outre – en dépit de lacunes statistiques sur les migrations de retour et de « re-migrations » – que les migrations ne sont pas si permanentes que cela, 20 à 50 % des migrants repartant dans les cinq années suivant leur arrivée. En France, le solde migratoire de 2013 (140 000) a diminué par rapport à celui de 2006 (164 000). Les retours sont motivés notamment par l’atteinte d’un montant suffisant d’économies, ou de l’âge de la retraite, ou encore par l’évolution de la situation socio-économique et politique dans le pays d’origine ou d’accueil. Cependant, la fermeture des frontières produit une « trappe migratoire » conduisant à la sédentarisation des migrants dans leur pays de destination, en particulier quand ils ont un statut irrégulier.

Par ailleurs, les Subsahariens qui, en 2012, représentaient 12 % des ressortissants de pays tiers en Europe n’abusent pas du regroupement familial. Beaucoup optent en effet pour un mode de vie familial transnational, la venue en France de leur famille leur paraissant coûteuse, tandis que les familles africaines, plus solidaires, s’opposent souvent au départ des enfants et de l’épouse, qu’elles considèrent comme des ressources. Ainsi, dix ans après leur départ en Europe, 49 % des Congolais avaient retrouvé leurs enfants en rentrant chez eux, et 27 % avaient été rejoints par leurs enfants en Europe.

De même, les capacités d’intégration des pays de destination sont plus grandes qu’il n’y paraît. En 1939, environ 500 000 Espagnols fuyant le franquisme se sont réfugiés en France. Initialement mal accueillis car perçus comme trop à gauche, ils se sont pourtant parfaitement intégrés, grâce, notamment à leur participation à la résistance contre le nazisme. De même, en 1962 – certes dans la période des Trente Glorieuses – 600 000 « pieds noirs » ont été rapatriés d’Algérie et ont bénéficié d’une politique volontariste d’intégration motivée en particulier par la dette coloniale. Enfin, en 1975, alors même que l’immigration de travail était officiellement terminée depuis 1974, la France a réinstallé et intégré activement 120 000 réfugiés d’Indochine présentés comme victimes du communisme.

« L’arrivée de migrants n’a au pire, aucun effet sur l’économie, et, au mieux, un effet légèrement positif », car elle augmente la demande et crée de nouvelles opportunités économiques. Les migrants, qui sont souvent plus éduqués que la moyenne de la population de leur pays d’origine, peuvent apporter leurs contributions fiscales aux systèmes sociaux quand ils sont en situation régulière. L’immigration irrégulière, elle, répond à un fort besoin de main-d’œuvre peu qualifiée dans des secteurs d’activité souvent désertés par les populations locales. Ainsi, en Floride, l’économie a-t-elle mis cinq années pour absorber un flux de 125 000 Cubains arrivés en 1980 ; en Israël, l’immigration en provenance de Russie a entraîné une augmentation de 4 % de la population en 1990, mais pas de baisse des salaires ; en Turquie, la vague de réfugiés syriens de 2015 rend certes plus difficile l’accès au marché informel de l’emploi pour les Turcs, mais reste sans effet sur les salaires. […]

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