Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n°2/2017). Virginie Nantchop propose une analyse de l’ouvrage de Benjamin Michelon, Douala & Kigali. Villes modernes et citadins précaires en Afrique (Karthala, 2016, 320 pages).

Douala & Kigali

Douala et Kigali sont deux villes importantes d’Afrique centrale. Si des cohérences géographique, historique et urbaine les rapprochent, ces villes présentent des trajectoires économique et politique, et une urbanisation, différenciées. L’auteur s’interroge sur les stratégies de ces villes désormais impliquées dans la compétition mondiale : quelle place est réservée à l’amélioration des conditions de vie des habitants des quartiers précaires ?

Le quartier (et son marché) est choisi par l’auteur pour faire une « anthropologie urbaine du changement social », permettant d’appréhender la fabrique de la ville à partir des pratiques sociales des habitants et des politiques des pouvoirs publics. Deux quartiers historiques, entre la ville coloniale et la ville moderne, sont choisis comme lieux d’observation de la fabrique urbaine : Biryogo à Kigali et Cité SIC à Douala.

Kigali est marquée par une forte dépendance vis-à-vis de l’État. Dans le contexte post-génocidaire, la reconstruction a pour objectif de créer une ville compacte, égalitaire, sur fond de réconciliation nationale. Kigali est appréciée pour ses rues propres et ses maisons bien alignées. La question sociale est au cœur des préoccupations des pouvoirs publics : il est urgent de promouvoir l’intégration urbaine des quartiers défavorisés. La métamorphose de Kigali, assurée par les acteurs privés et les bailleurs de fonds, est visible à travers ses nouveaux monuments (centres commerciaux et d’affaires). Les transformations observées positionnent le pays sur le devant de la scène internationale, mais ces changements s’accompagnent, dans l’ombre, de l’éviction des pauvres, victimes d’expropriations du fait de la libéralisation du marché foncier et de la spéculation. En outre, on observe une mutation des types de commerce et une relocalisation des espaces marchands. Les centres commerciaux, qui attirent une clientèle aisée, se substituent désormais aux marchés « traditionnels ».

À Douala, des agendas inachevés (modernisation architecturale, valorisation du patrimoine et des espaces verts, extension et renouvellement de réseaux d’infrastructures) caractérisent une ville qui s’affranchit difficilement des acquis du passé colonial. La dualité socio-spatiale qui prédomine dans la construction des infrastructures de services (eau, assainissement, transports) est perpétuée par les autorités locales. Le retrait relatif de l’État de la planification urbaine a des conséquences sur la production de l’espace urbain, largement assurée par les acteurs privés. L’habitat informel se développe ainsi en marge de toute intervention des pouvoirs publics. L’analyse des pratiques citadines à l’échelle du quartier révèle la complexité des rapports entre autorités locales et commerçants, permettant une lecture plus large des rapports entre autorités et habitants d’une ville historiquement réputée frondeuse.

Ces deux études montrent bien l’existence d’une forme d’expulsion des pauvres plus pernicieuse : l’éviction par le marché. En effet, si les États se saisissent de projets de construction de villes vitrines, symboles de modernité, moteurs du développement économique, leur mise en œuvre se révèle plus complexe. Le dirigisme étatique à Kigali et l’inertie observée à Douala reproduisent un schéma dichotomique – l’opposition entre la ville formelle et informelle – et accentuent la fragmentation urbaine.

Virginie Nantchop

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