Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n° 4/2017). Jean-Philippe Foegle propose une analyse croisée de l’ouvrage dirigé par Carmen R. Apaza et Yongjin Chang, Whistleblowing in the World: Government Policy, Mass Media and the Law (Palgrave Macmillan, 2017, 102 pages) et de l’ouvrage d’Ashley Savage, Leaks, Whistleblowing and the Public Interest: The Law of Unauthorised Disclosures (Edward Edgar Publishing, 2016, 304 pages).
Bien que le lanceur d’alerte soit désormais une figure familière du grand public, les facteurs pesant sur l’effectivité de son action restent mal connus. Les deux ouvrages présentés ici comblent partiellement cette lacune.
Le premier, dirigé par les politologues Carmen Apaza et Yongjin Chang, tente d’identifier les contours du « lancement d’alerte effectif » (effective whistleblowing), défini par les auteurs comme la capacité d’un lanceur d’alerte à obtenir à court terme la correction de l’irrégularité dénoncée. À partir de quatre études de cas portant sur l’action de lanceurs d’alerte au Pérou, en Corée du Sud, en Thaïlande et aux États-Unis, les auteurs démontrent que la possibilité de recourir aux mass-media est généralement la condition nécessaire d’effectivité du lancement d’alerte.
En effet, dans les quatre contextes sociopolitiques étudiés, les lanceurs d’alerte n’ont pu obtenir des changements institutionnels de long terme et de grande ampleur qu’en lançant l’alerte auprès de mass-media, et ce y compris lorsqu’ils disposaient de canaux alternatifs pour signaler les faits en cause en interne, sans recourir à la révélation publique. L’ouvrage démontre ainsi que le lancement d’alerte au public constitue un puissant levier, permettant aux whistleblowers d’éviter qu’une alerte ne soit enterrée lorsque les canaux internes de signalement ne sont pas performants, et ne répondent pas efficacement aux problèmes dénoncés.
Le second ouvrage, rédigé par le juriste Ashley Savage, présente une analyse fine et détaillée de l’encadrement juridique du lancement d’alerte dans le secteur du renseignement et de la défense, qui conduit l’auteur à présenter de manière exhaustive les hypothèses dans lesquelles les lanceurs d’alerte peuvent faire l’objet de poursuites pénales pour avoir révélé une information secret-défense. L’auteur dresse en creux le constat d’une inefficacité chronique des mécanismes internes de dénonciation d’irrégularités existant dans les agences de renseignement au Royaume-Uni, au Canada et aux États-Unis. Proposant des pistes de réforme des législations existantes, Ashley Savage démontre de manière convaincante qu’une protection des lanceurs d’alerte dans le domaine du renseignement ne saurait être efficace si elle ne s’accompagne d’une révision des procédures qui encadrent l’accès du public à l’information classée secret-défense. Ainsi, pour être efficace, le lancement d’alerte doit être l’élément déclencheur d’un processus conduisant à déclassifier des informations indûment classées secret-défense. Il s’agit non seulement de permettre au public de faire rendre des comptes aux autorités, mais également d’empêcher les gouvernants d’utiliser les lois sur le secret pour couvrir des violations de la loi ou des droits de l’homme.
Sans révolutionner l’état des savoirs, ces deux ouvrages rappellent opportunément que les protections dont bénéficient les lanceurs d’alerte ne sauraient être efficaces si elles ne s’accompagnent d’un élargissement de la portée du droit à la liberté d’expression, et du droit du public à l’information. Si un tel constat relève de prime abord de l’évidence, les développements de ces deux livres démontrent que cette évidence a été trop souvent occultée par les rédacteurs des lois sur les lanceurs d’alerte.
Jean-Philippe Foegle
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