Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2018). Philippe Contamine propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Jean-Marie Moeglin et Stéphane Péquignot , Diplomatie et « relations internationales » au Moyen Âge (IXe-XVe siècle) (PUF, 2017, 1 112 pages).

Si l’on s’arrête à la seule histoire européenne, l’opinion commune voudrait que la diplomatie, dans ses formes actuelles, n’ait réellement pris naissance qu’au XVIIe siècle, les traités de Westphalie (1648) jouant un rôle de référence. Le premier mérite des auteurs est ici de montrer que la période médiévale, depuis le démembrement de l’empire carolingien et l’émergence consécutive des royaumes, des principautés et des cités-États, a connu d’authentiques « relations internationales », dans la guerre comme dans la paix. Autrement dit, en dépit de l’enchevêtrement des vassalités et des fidélités, des rapports existaient de puissance à puissance ne ressortissant pas aux affaires intérieures. Ainsi, il fallut longtemps aux rois de France pour imposer dans l’étendue de leur royaume le monopole de la diplomatie légitime, complémentaire du monopole de la violence légitime. Quant au pape et à l’empereur, ils furent toujours incapables, malgré leurs prétentions, d’être des juges suprêmes au sein de la chrétienté. À des degrés divers, celle-ci fut toujours politiquement divisée.

Pendant tout un temps, médiévistes et modernistes français ont délaissé l’histoire diplomatique, l’« histoire-traité » ayant subi le même sort que l’« histoire-bataille » : trop événementielle, trop élitiste, et d’ailleurs écrite depuis longtemps. Le réveil s’est fait lentement, à partir des années 1980. Le livre de Moeglin et Péquignot, imposant et rigoureux, maîtrisé et novateur, adossé de surcroît à une immense bibliographie, donne une impulsion décisive à cette démarche. Il est appelé à faire date.

À l’évidence, il n’était pas question d’évoquer, même sommairement, les principales négociations qui scandèrent alors l’action politique. L’option a été de retenir les thèmes essentiels, quitte à y introduire la chronologie. Tour à tour sont passés en revue les acteurs des relations internationales (en droit comme en fait, qui à l’époque féodale pouvait mener une « politique extérieure » ?), les conditions pratiques des échanges (les langues utilisées, le rôle de l’oral et de l’écrit, l’archivage des traités), le statut des ambassadeurs, l’esprit qui présidait aux négociations, la formulation d’un premier droit public international, etc.

L’idée maîtresse est que, même au XVe siècle, les relations extérieures se nouaient non entre des États mais entre des hommes – avec leurs passions –, détenteurs à titre personnel et en général héréditaire de droits et de prérogatives. Ceux-ci leur procurant profit et honneur, il leur revenait de les maintenir et de les accroître par conquête, alliance ou mariage. Le rôle de l’amicitia et de l’inimicitia est ici fortement souligné. Cela dit, on voit ces princes – au sens que le droit romain donne à ce terme – s’identifier de plus en plus à leur pays : d’où ­l’introduction de la notion de bien commun.

Les auteurs sont loin d’admettre la radicale nouveauté de la Renaissance italienne : au-delà de la rhétorique qu’y maîtrisent les oratores, au point qu’ils font de la diplomatie une branche des belles-lettres, les ambassadeurs de Charles VII et de Louis XI, confrontés par exemple à l’Angleterre et à la Bourgogne, soutiennent la comparaison avec leurs contemporains de Florence, de Milan ou de Venise.

Philippe Contamine

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