Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2018). Marc Hecker, rédacteur en chef de Politique étrangère et directeur des publications de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Jean-François Gayraud, Théorie des hybrides. Terrorisme et crime organisé (CNRS Éditions, 2017, 256 pages).

Jean-François Gayraud, docteur en droit, est haut fonctionnaire de la police nationale. Après avoir travaillé pour la Direction de la surveillance du territoire (DST) et l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT), il a rejoint, en 2017, l’équipe du coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme. Dans ce nouvel ouvrage, il analyse les liens entre terrorisme et crime organisé.

L’auteur distingue trois stades d’hybridation. Tout d’abord, la coopération : organisations terroristes et criminelles peuvent nouer des alliances, notamment pour obtenir des financements ou des armes. Ensuite, la convergence : ces organisations commencent à se ressembler et à agir par mimétisme. Enfin, la mutation : « des groupes deviennent de manière indistincte à la fois politiques et criminels ». Ces processus de rapprochement et de transformation transcendent les idéologies. Gayraud le démontre en proposant un tour du monde des groupes hybrides.

L’hybridation fonctionne dans les deux sens. Des structures criminelles peuvent se politiser et pratiquer le terrorisme. Le cas des cartels mexicains est particulièrement frappant : ils contrôlent des territoires, y imposent leurs règles et leur sous-culture. Pour soumettre la population, ils mettent en œuvre une stratégie de terreur, dont certains aspects – comme les décapitations et les crucifixions – ne manquent pas de rappeler les exactions de Daech. De 1996 à 2016, la guerre des cartels a fait environ 175 000 morts. Il arrive que des organisations criminelles parviennent à prendre le pouvoir. On voit alors apparaître un État mafieux. À cet égard, l’histoire de l’Armée de libération du Kosovo (UÇK) et de sa prise en main du Kosovo est éloquente.

À l’inverse, des groupes terroristes peuvent évoluer vers la criminalité. Au départ, les activités criminelles – trafic de stupéfiants, enlèvements, braquages, etc. – peuvent être un moyen de financer des actions de terrorisme ou de guérilla. Au fil du temps, la cupidité peut prendre le pas sur la cause. L’auteur résume ce processus par une formule : les « paras » (militaires) deviennent des « parrains ». Les exemples de certains cadres de l’Armée républicaine irlandaise (IRA) ou des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) en attestent. Gayraud décrit Daech comme un super gang, et montre que les recrues francophones de cette organisation sont, pour beaucoup, des délinquants de banlieue. Il souligne que le récit du « voyou en quête de rédemption » est souvent erroné, et que l’on a plutôt affaire à des « gangsters islamisés » recherchant une justification religieuse à des pratiques prédatrices.

L’hybridation peut être telle qu’il en devient parfois impossible de distinguer les structures criminelles et terroristes. Face à ce phénomène, nos institutions sont mal adaptées. L’auteur relève en conclusion que les bureaucraties occidentales ont des « habitudes classificatoires » dont elles peinent à se défaire. Les spécialistes de la lutte contre le terrorisme s’occupent des terroristes et les experts de la lutte contre la criminalité traquent les gangsters. À l’heure de l’hybridité, ces frontières bureaucratiques sont un handicap. L’auteur en appelle à une transformation des modes de fonctionnement de l’État « dans le sens de la transversalité et du décloisonnement » des services. Aujourd’hui à l’Élysée, Jean-François Gayraud va pouvoir s’atteler à cette tâche.

Marc Hecker

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