Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2018). Hans Stark, secrétaire général du Comité d’étude des relations franco-allemandes (Cerfa) de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Patrick Moreau, L’Autre Allemagne. Le réveil de l’extrême droite (Vendémiaire, 2017, 304 pages).
Fondée en 2013, l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) a obtenu 12,6 % des voix aux élections législatives de septembre 2017. Présente dans 14 des 16 chambres régionales outre-Rhin, l’AfD représente aujourd’hui une force marquante de la vie politique en Allemagne. D’où l’urgence de mieux comprendre ce parti dans un pays qui ne connaît plus guère le chômage, dont l’économie tourne à plein régime et qui, de surcroît, a longtemps semblé échapper à la montée des partis populistes et d’extrême droite.
Germaniste, chercheur au CNRS et à l’université de Strasbourg, Patrick Moreau est un expert reconnu de l’extrême droite allemande et l’ouvrage le confirme. L’auteur rappelle d’abord que le phénomène d’extrême droite, bien que marginal jusqu’en 2013, a toujours existé dans l’Allemagne de l’après-guerre, et esquisse une courte histoire des différents groupuscules nazillons qui se sont développés en République fédérale depuis les années 1960. L’auteur réfléchit ensuite à l’impact de la réunification sur l’évolution de l’extrême droite allemande, au regard du fait que nationalisme et xénophobie ont reçu davantage d’écho dans les Länder de l’ex-RDA que dans ceux de l’Ouest – sans doute pour des raisons liées à la fois à la façon dont les dirigeants de la RDA ont traité l’héritage du national-socialisme, et au choc de l’unité allemande.
Patrick Moreau revient ensuite sur la genèse et les mutations de l’AfD. Il rappelle que ce parti regroupait à son début des forces politiques qu’on peut qualifier de « national-libérales ». Mais deux ans après sa naissance, l’AfD change d’orientation, en s’ouvrant à des acteurs issus des milieux nationaux-conservateurs. Depuis 2016-2017, ces derniers sont de plus en plus concurrencés par des militants que Moreau qualifie de « nationaux-völkisch », et qu’il classe sans hésiter à l’extrême droite. Il appuie cette thèse, largement partagée par les politologues allemands, en analysant les fluctuations du personnel dirigeant de l’AfD depuis 2015 – avec l’éviction de son fondateur Bernd Lucke –, ainsi que les liens que délégués et députés de l’AfD entretiennent avec l’extrême droite dure (notamment le Parti national-démocrate – NPD – et le mouvement « identitaire », puis le mouvement Pegida). Il passe aussi en revue les positions prises par ses principaux leaders, qui montrent aussi des tendances propices à la radicalisation.
La dernière partie de l’ouvrage est consacrée à l’évolution de l’AfD dans le contexte politique allemand des années 2015-2017, et au bénéfice que ce parti a su tirer de la vague migratoire de 2015-2016. Moreau revient notamment sur les succès électoraux que l’AfD a connu aux diverses élections des Länder, qui lui ont permis de s’ancrer sans doute durablement à l’échelle régionale, et notamment en Allemagne de l’Est où ce parti est dorénavant élu par un électeur sur quatre.
Patrick Moreau n’a pas pu dans ces pages tenir compte des résultats des élections législatives. Mais ces dernières ne sauraient constituer une surprise pour le lecteur. Elles confirment plutôt une tendance, hélas lourde. Pour comprendre le phénomène AfD, l’ouvrage de Patrick Moreau, précis et détaillé, écrit avec beaucoup de distance par rapport à l’objet étudié et sans la moindre approche moralisante, est incontournable.
Hans Stark
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