Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2018). Vincent Doix propose une analyse de l’ouvrage de Bayram Balci, Renouveau de l’islam en Asie centrale et dans le Caucase (CNRS Éditions, 2017, 320 pages).

Bayram Balci, ancien directeur de l’Institut français d’études sur l’Asie centrale à Tachkent, signe une étude fort utile sur un espace centrasiatique qui interroge, dans le contexte de mondialisation de l’islam, de l’éclosion de formes radicales, et de recomposition du djihad mondial.

Le premier axe de lecture s’appuie sur l’histoire soviétique de la région, et le rapport complexe qu’entretint l’Union soviétique à l’islam. Loin d’un athéisme inflexible, le pouvoir flattait les populations musulmanes pour gagner leur soutien, faisant de l’islam un moyen de construction des identités nationales.

Bayram Balci fait intelligemment le lien entre cette histoire et la situation contemporaine. Si l’ouverture des frontières a permis un nouvel essor de la religion, les États d’Asie centrale et du Caucase en ont rapidement restreint les expressions plurielles, potentiellement néfastes pour les pouvoirs politiques. Marqués par l’histoire séculière soviétique, ils ont maintenu le contrôle de la religion, se dotant de structures définissant un islam national, un « bon » islam auquel s’identifier (en Asie centrale, il s’agit d’un islam fidèle aux enseignements du sunnisme traditionnel hannafite).

L’islam sert ainsi à légitimer l’État – l’Azerbaïdjanais Heydar Aliyev s’y réfère pour effacer son passé de responsable au KGB –, mais sans que lui soit conféré nul pouvoir politique. Les pratiques populaires, apolitiques, comme les pèlerinages, sont encouragées. Voici la thèse centrale du livre : chaque pays, dans sa volonté de différenciation et de construction d’une identité, a favorisé l’émergence d’un islam national, fruit de l’histoire et des contextes nationaux.

Autre apport important de l’ouvrage, les diverses formes de religiosité présentes sont référencées et contextualisées. Ainsi de la Jama’at al Tabligh, venue d’Asie du Sud, peu influente et seulement présente au Kirghizstan. Ainsi également des réseaux de la confrérie Nakhsibendiyya du « parti de la libération » (Hizb ul Tahrir), surveillé et combattu. Au total, il ressort que le rôle politique de l’islam comme contre-pouvoir reste très limité.

Les États étudiés se différencient aussi dans leur rapport aux influences extérieures, nées de l’ouverture et de la nécessaire coopération avec les producteurs d’islam. L’auteur déconstruit l’idée d’une prééminence d’États se présentant comme les défenseurs de l’islam au niveau mondial. L’Iran joue ainsi un rôle mineur sur cet espace avec lequel il partage pourtant une histoire, trop occupé à des considérations géopolitiques dans sa relation avec Bakou par exemple. Le rôle de l’Arabie Saoudite est aussi minoré, quoique les fondations Al-Haramain et la International Islamic Relief Organisation et ses lieux saints constituent un réel soft power pour le pouvoir saoudien. En revanche, la Turquie laïque apparaît la plus influente dans cet espace. Si elle est repoussée dans son rôle de « nouveau grand frère », le détail que donne l’auteur des outils turcs est impressionnant, qu’il s’agisse de la Diyanet ou encore des écoles du mouvement Gülen.

Bayram Balci livre ici un texte utile à la compréhension de l’histoire religieuse de cet espace et des forces centrifuges qui pourraient le déstabiliser ; et une étude fouillée, singulière en langue française, pour tous ceux qui s’intéressent au regain de l’islam en Asie centrale et dans le Caucase.

Vincent Doix

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