Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2018). Emmanuel Mourlon-Druol propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Michel Aglietta et Nicolas Leron, La Double Démocratie. Une Europe politique pour la croissance (Seuil, 2017, 208 pages).
Ces trois dernières années, le débat sur l’avenir de la zone euro semble s’être cristallisé autour de deux options : une finalisation de l’union bancaire, qui apporterait la réponse la plus adaptée aux sources de la crise de 2009 ; la mise en place d’un budget substantiel de la zone euro, qui offrirait la meilleure garantie d’un fonctionnement harmonieux de la zone euro. La Double Démocratie s’inscrit dans la lignée de la seconde option, et offre une analyse stimulante des problèmes actuels de l’ensemble européen, et des mesures à mettre en place pour en améliorer le fonctionnement.
C’est en dotant l’Europe d’un budget commun significatif, financé sur des ressources fiscales propres, qu’elle deviendra, pour les auteurs, une réelle puissance publique, ce qui contribuera à sa revitalisation démocratique. Les auteurs relèvent le paradoxe des enquêtes d’opinion européennes : si les citoyens semblent marquer leur attachement à la monnaie unique, ils manifestent fréquemment leur rejet de l’Union européenne. La faiblesse de la puissance publique européenne contribuerait à expliquer ce rejet.
Le premier chapitre expose les faiblesses du système politique européen, et notamment son déficit démocratique structurel. Le deuxième chapitre se focalise sur la question de la souveraineté, particulièrement ambiguë dans la construction politique européenne, cette ambiguïté étant source de tensions. Le troisième chapitre analyse comment « recouvrer la puissance publique » européenne, par le biais du développement d’un budget européen substantiel, entre 3 % et 5 % du PIB européen.
Les auteurs proclament et répètent que la « méthode des petits pas », néo-fonctionnaliste, chère à Jean Monnet, est révolue. Mais l’union bancaire n’est-elle pourtant pas par définition le fruit de la méthode fonctionnaliste ? Et n’est-elle pas également un exemple du (difficile) développement de la puissance publique européenne, via la question de la résolution et de l’assurance dépôts ? Cette réflexion rejoint la première ligne d’analyse évoquée plus haut, notamment traitée dans les travaux de Barry Eichengreen ou Martin Sandbu, mais qui n’est pas abordée dans La Double Démocratie.
Les auteurs en appellent à une recherche interdisciplinaire, prenant en compte la science politique, l’économie, et le droit. Ils ne mobilisent toutefois étrangement aucun des travaux de la riche historiographie de la construction européenne, ou même de l’histoire de l’Europe après 1945. Alors que les auteurs appellent de leurs vœux « l’avènement d’une véritable puissance publique européenne qui permettra le recouvrement de la puissance publique nationale », nulle mention n’est faite, par exemple, des travaux d’Alan Milward. C’est pourtant l’historien britannique de l’économie qui a le premier analysé l’idée du sauvetage de l’État-nation par l’Europe, dans son livre éponyme, The European Rescue of the Nation State paru en 1992, où il étudiait les débuts la construction européenne. L’analyse des auteurs semble faire écho aux travaux de Milward, qui ne prenait certes pas en compte la dimension de revitalisation démocratique comme ils le font eux-mêmes. Le parallélisme entre les réflexions mériterait, par exemple, d’être approfondi.
Michel Aglietta et Nicolas Leron offrent toutefois un ouvrage essentiel, riche et stimulant qui contribue au débat sur la réforme de la zone euro.
Emmanuel Mourlon-Druol
Pour vous abonner à Politique étrangère, cliquez ici.
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.