Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2018). Juan Flores Zendejas propose une analyse de l’ouvrage de Johan Christensen, The Power of Economists within the State (Stanford University Press, 2017, 232 pages).

Les économistes occupent un rôle de plus en plus central dans la gestion des politiques économiques. Derrière ce constat, Johan Christensen montre que leur influence dans les structures gouvernementales n’a pas progressé au même rythme partout. Dans certains pays, la prise de pouvoir par les économistes s’est faite en quelques années, dans d’autres elle s’est étalée sur plusieurs décennies. Le livre montre également de manière détaillée le bouleversement vécu dans la conduite des politiques fiscales, menée auparavant par différents groupes professionnels, tels que les juristes ou généralistes. Après la prise de pouvoir des économistes, les politiques économiques se sont concentrées sur l’efficience du système fiscal aux dépens d’autres objectifs. Selon l’auteur, ces bouleversements sont liés à l’ascension de l’école néoclassique, depuis les années 1960 principal courant de pensée mondiale.

L’analyse suit le système fiscal de quatre pays (Nouvelle-Zélande, Irlande, Norvège et Danemark) et cherche à montrer comment le contexte institutionnel et politique a facilité (en Nouvelle-Zélande et en Norvège), ou retardé et limité (en Irlande et au Danemark) l’influence des économistes sur la politique fiscale. À leur arrivée au pouvoir, les économistes ont introduit des politiques fiscales « neutres » qui ont favorisé la taxation sur une base longue, avec un taux d’imposition marginal bas, tout en éliminant les exceptions ou déductions qui auraient pu déformer le ­fonctionnement des marchés.

Pour chaque cas, l’auteur décortique le rôle des économistes dans des réalités nationales uniques et complexes. L’influence de plusieurs acteurs est prise en compte : la structuration de l’administration publique, la compétition entre partis politiques et le rôle des groupes de pression. L’ouvrage englobe deux aspects de nos sociétés qui ne sont pas, en principe, liés directement. Tout d’abord, le recours à l’expertise dans la gestion des politiques économiques. Si la spécialisation du travail est devenue une caractéristique commune à presque tous les secteurs de l’économie, le recours à une expertise spécialisée peut aussi obéir à des raisons très contingentes et locales, par exemple la légitimation politique d’une réforme socialement impopulaire. Le second aspect concerne l’adoption d’un paradigme unique, autour de l’école néoclassique qui domine cette expertise. Sur ce point, l’ouvrage est convaincant.

Néanmoins, certaines questions restent ouvertes. L’adoption d’un paradigme unique devrait comporter l’adoption plus ou moins généralisée des politiques économiques préconisées. Mais l’auteur admet que le cadre institutionnel peut, dans un premier temps, freiner cette tendance à la généralisation. Si on suit la thèse du livre, les politiques économiques finiront par converger à moyen – ou long terme. Mais est-ce véritablement le cas ? La diversité d’expériences analysées dans l’ouvrage ne permet pas de dégager un pattern commun.

Le paradigme dominant sera probablement modifié avant que la convergence ait lieu. L’auteur suggère ainsi le rôle des crises financières (comme celle de 2008-2010) ou des pressions externes (l’OCDE ou l’Union européenne) comme sources exogènes de changement de politique économique. Depuis la crise de 2008 et à la suite des nombreuses critiques formulées à l’encontre des économistes, le futur de la profession reste incertain. Non seulement la réputation des économistes a été fortement endommagée, mais les piliers même de la discipline ne sont pas encore à l’abri d’une implosion.

Juan Flores Zendejas

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